| L’inconnue de Venise
 
 Lorsqu’elle passa, le temps se suspendit. Parfumée, 
                        fragile et figée, elle devait être l’esprit 
                        de Venise. Le soleil, même, hésitait à 
                        la caresser. La comédie des masques s’affichait 
                        en suppositions, en doutes et en incertitudes. Le clergé 
                        médiéval et son oppressante atmosphère 
                        avaient disparu depuis longtemps, le doge Vitale Faliero, 
                        avec sa fameuse charte « carnis laxatio », 
                        n’était plus qu’une ombre, l’air 
                        était léger. Dans ma tête ne flottaient 
                        que chants, réjouissances tapageuses et couleurs 
                        indécentes de violence. En ce 26 décembre 
                        d’une année oubliée, la joie se lisait 
                        sur le visage de ceux qui n’avaient pas la chance 
                        de se déguiser. Ah ! l’ancestral besoin des 
                        Vénitiens de se travestir, de changer d’identité, 
                        de goûter le bonheur grisant, fugace et merveilleux 
                        du carnaval. Accompagné de Pantalon, Arlequin, 
                        et Polichinelle, mes fidèles amis, moi, Pagliaccio 
                        le clown, je contemplais avec ravissement cette mystérieuse 
                        femme. Surmontant une timidité excessive, d’une 
                        manière gauche, j’osai lui parler. Elle se 
                        retourna lentement, elle allait ôter son masque… 
                        et je me suis réveillé avec la certitude 
                        qu’elle avait dû exister.
 |