Il y a fort longtemps que je voulais raconter ma grand-mère,
cette grosse boule d’humanité qui m’accompagne
encore dans la vie. Quand, réfugié sous
son tablier, elle posait ses pattes d’ours sur
mes épaules, je me sentais heureux, débarrassé
de mes contrariétés enfantines, en sécurité.
Avec des fleurs de lavande appliquées sur le
front, elle savait soigner un mal de tête, elle
avait une telle force qu’elle aurait pu en faire
du jus. Elle était ma protectrice en quelque
sorte. Progressivement, son esprit s’encombra
d’idées délirantes et elle finit
dans la quatrième dimension, mais là encore,
c’est toujours son petit-fils qu’elle demandait.
Mon enfance passa entre parents et grands-parents, dans
les odeurs rafraîchissantes du petit jardin bucolique
d’un pavillon de banlieue. Au fil des années,
des immeubles remplacèrent ces endroits privilégiés
; c’est ainsi que disparaissent les senteurs,
les couleurs, les bruits, au profit du dieu de l’uniformité.
Aujourd’hui encore j’ai dans le nez des
parfums de fraises, de menthe Pouliot ou de thym. Plus
tard, en lisant À la recherche du temps perdu
de Proust, ou Le mas Théotime de Bosco, je repris
toutes ces sensations en plein visage. Heureusement,
la mémoire veille... pour rêver au passé.
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