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Un
recueil de vingt et une nouvelles surréalistes |
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Les vingt et une nouvelles qui composent « On n'arrête
pas les nuages » sont principalement le récit
de déchirures, le sort de ceux qui se prennent dans
la toile de l'araignée. On porte en soi quelques fils
accrochés... Certaines sont douce-amères sous
des allures humoristiques. Bien qu'elles soient issues de
faits réels, les personnages mis en scène sont
fictifs. Par pudeur. Mais plus encore pour cacher que mes
rides sont le fil conducteur de certaines désespérances.
Un jour, Virgil Gheorghiu a dit : « J'ai traversé
tellement de tunnels obscurs, pris tant de chemins étroits,
pierreux au demeurant, que parfois, j'ai du mal à croire
encore à ma propre identité. »
Des moments privilégiés flottent dans ma propre
respiration et j'espère, en conduisant le lecteur vers
son propre univers, garder le recul nécessaire pour
continuer à écrire. Je veux garder mon regard
d'enfant qui voit des silhouettes passer dans le ciel. Je
veux rester serein en ma propre demeure tout en écrivant
sur des blessures anonymes. J'aurai essayé de ne pas
arrêter les nuages...
Bastet me regarde, grands yeux verts en amande, moustaches
en éveil, couchée sur mon lit. Je suis certain
qu'elle a compris où je voulais en venir. Alors, si
elle peut le faire... |
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ANNA-MAGDALENA |
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Il
n’y avait pas âme qui vive auprès de la
voiture, et il faisait encore nuit. Pendant qu’il dégustait
la collation déposée sur un plateau d’argent,
la musique reprit. C’était comme un gros morceau
de quartz fantôme à l’horizon, avec un
petit pantin gesticulant. Aussi, malgré l’ankylose
due à une installation inconfortable, Julius se décida
à franchir cette mer de sable pour savoir qui jouait
aussi merveilleusement bien.
Droite, un joli port de tête et beaucoup d’élégance
dans le doigté, une belle jeune femme répétait
sur un clavecin qui n’avait rien à envier aux
merveilles du Baroque. Elle demanda :
— As-tu bien dormi ?
Julius répondit, étonné :
— Parce qu’on se connaît ?
— Tout le monde connaît tout le monde dans le
désert et... nous sommes très peu à jouer
du clavecin !
Elle avait dit cela avec un ton ironique et une touche de
gaieté dans la voix.
— Alors, reprit-elle, tu es enfin revenu !
Julius ne comprenait toujours pas ce qu’elle voulait
dire. Il se pencha vers elle, la dévisagea, mais elle
enchaîna sans lui laisser le temps de s’exprimer
:
— Je suis… enfin… j'étais l’épouse
de Jean-Sébastien Bach. Au moment de ma mort, on m'a
demandé si j’accepterais de revenir… plus
tard. Quelle question ! ai-je répondu, bien sûr
! Et je veux retrouver Jean-Sébastien car nous avons
eu de bons moments ensemble !
— Moi, c’est Julius le déjanté au
chat mécanique. Je me présente, bien que vous
n’ayez pas l’air de vouloir savoir quoi que ce
soit de moi ! |
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LES
AILES D’ANGELINA |
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Il
prit l’habitude de faire un détour, simplement
pour passer devant chez elle. Un soir, il arriva Rio Terra
San Leonardo vers minuit alors qu’une silhouette frappait
à sa porte. Il s’arrêta, se dissimulant
dans un renfoncement. L’homme d’une stature imposante
portait une cape foncée ; Stefano aurait juré
qu’il mesurait plus de deux mètres. Il était
affublé d’un masque d’insecte dont les
yeux globuleux renvoyaient une lumière insolite. Angelina
ouvrit la porte comme quelqu’un qui attend une visite.
Elle regarda à gauche, puis à droite, pour s’assurer
que personne n’avait suivi son visiteur qui s’engouffra
dans la maison et referma la porte discrètement. Venise
n’était-elle pas la ville des intrigues, des
complicités louches et des vies qui cheminent à
pas feutrés ? Alors, dans cette cité aux
multiples facettes, Stefano estima que la scène était
normale. |
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CLOTHILDE |
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Le
chant étrange me ramena à la réalité.
Il venait des murs mais je ne parvenais pas à définir
duquel de ces quatre imposantes masses dédiées
à la souffrance. Moi qui croyais avoir connu toutes
les douleurs, je venais d’entrer dans une dimension
supérieure, pénétré de sentiments
nouveaux que même les mots ne pouvaient suggérer,
comme un écorché aux frontières de l’intolérable.
Je me relevai. Plusieurs fois je passai les mains sur les
murs, effleurant ces fresques qui semblaient saigner d’amertume,
de regrets. Mes mains s’attardèrent sur un portrait
de jeune femme. Je le parcourus en aveugle tant sa vue m’était
insupportable. C’est alors qu’elle me parla dans
une langue que je ne connaissais pas mais que je comprenais.
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L’ŒIL
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La
péniche de bois précieux se détacha lentement
de la rive. Les brumes matinales de février se plaquaient
sur le chargement, atténuant un peu les vives couleurs
des dessins stylisés d’animaux inconnus, des
scènes guerrières partiellement effacées
et des gros yeux peints. Au gré de l’eau, un
livre ouvert voguait sous les pieds de Marc. Il se sentit
fier d’avoir ce trajet à parcourir. Mathilde
était moins enthousiaste, son anxiété
s’accentua dès l’arrivée du bateau.
Cette histoire de septième écluse à ne
pas passer la préoccupait. Marc la rassura ; ils avaient
été payés d’avance pour un travail
qui devait bien se terminer, il ne fallait pas aller chercher
plus loin. |
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FEMME-OISEAU |
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Je
vous ai découverte sur la plage, à demi nue.
Vous portiez une robe blanche sans manches, tachée.
Votre sang, à mon grand étonnement, sentait
la groseille. C’est peut-être pour cela que je
n’ai pas eu peur.
Je vous ai trouvée par une de ces nuits d’insomnie
où l’absence de celle qui m’a quitté
depuis trop longtemps m’anéantit. Elle vous ressemblait,
à l’exception de quelques détails.
Je vous ai transportée dans mes bras, en essayant de
ne pas vous faire de mal, délicatement, à la
façon dont les colombes transportent de fragiles messages.
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PAS
DE TAXI |
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Dans
le tiroir de la commode, je trouve une belle clef ouvragée.
Je la reconnais, c’est celle de son atelier. J’avance
jusqu’au fond du couloir et je l’enclenche dans
la serrure : bruit sec, porte grinçante, tout pour
me donner une légère accélération
du cœur. Au milieu d’un foutoir sans nom composé
de manuscrits calligraphiés d’une petite écriture
inclinée, de fioles diverses et d’alambics de
toutes tailles, mes yeux se posent sur une vieille boîte
de bonbons en fer peint. À l’intérieur,
sur un morceau de papier plié, je parviens à
lire « Attention au cocon ». Je n’en sais
pas plus. Je referme la boîte et j’oublie momentanément
cet avertissement. Je me jette sur ce qui pourrait encore
ressembler à un lit et je m’endors. Au milieu
de la nuit, des craquements me réveillent. J’appuie
sur l’interrupteur, plus de courant !
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LE
THÉ DE LA MUETTE |
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J’entraînai
involontairement quelques voyageurs et nous rejoignîmes
la femme assise dans le talus. Un châle masquait une
partie de son visage. Rabattant machinalement sa cape sur
son épaule, elle découvrit ce qu’elle
tenait dans la main : un thermos. Nous avons éclaté
d’un rire nerveux pendant que l’odeur apaisante
du thé se mélangeait à celle de la ferraille
surchauffée. Un grincement sur les rails me fit tourner
la tête. La locomotive, décrochée du reste
du train, commençait à s’éloigner.
Comme dans mes meilleurs cauchemars, ça sentait la
magouille à plein nez. Les voyageurs durent sortir
des wagons sur ordre du contrôleur qui referma immédiatement
les portes. Ce geste anodin démontrait la détermination
de ceux qui nous manœuvraient. |
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FACE
DE TAUPE |
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Dès
que Glenn s’agenouilla, l’homme, qui perdait beaucoup
de sang, s’agrippa à son épaule et répéta
plusieurs fois : « Vengez-moi... Promettez-moi de me
venger ! » Il sentit l’étreinte se relâcher
et répondit comme au sortir d’un cauchemar :
« Oui, je le ferai... » La tête de l’inconnu
retomba lourdement, un filet de sang au coin des lèvres.
Mais il fallut l’arrivée d’une bonne dizaine
de voitures de police pour que Glenn sorte réellement
des limbes. Klaxons et gyrophares donnaient un son et lumière
improvisé en forme de Requiem pour personne, car c’était
bien de cela qu’il s’agissait, il venait de promettre
à Monsieur Personne une vengeance bien supérieure
à ce qu’il croyait pouvoir tenir. |
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LE
CHEMISIER BLANC |
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Un
guitariste joue des mélodies espagnoles tandis qu’une
liqueur de mandarine s’installe confortablement au fond
de gros verres décorés d’or et d’argent.
Nous conversons tard dans la nuit, mon hôte est intarissable.
Il commente avec moult détails, et il a l’air
particulièrement bien documenté, les fameuses
routes de l’or et de l’argent, les cargaisons
en partance pour le nouveau monde et les convois dont il ne
revient qu’une partie, les autres acquises à
la piraterie. Il conte tout cela au présent. J’aime
les gens qui vivent leur passion mais là, c’est
plus vrai que nature. Je ne peux m’empêcher de
l’interrompre :
— Excusez-moi mais… vous parlez bien du passé
? |
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FAUT
ÊTRE FERME ! |
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En
passant devant la cage de mon canari, je jette un coup d’œil.
Il est en train de regarder Les trois mousquetaires avec Douglas
Fairbanks, un vieux film en noir et blanc. Je lui ai offert
un minuscule téléviseur car, depuis que sa copine
est morte, il s’ennuie énormément.
Sur le buffet, ma chatte angora, blanche, est en train de
lire un article sur le Festival de Cannes. Elle est subjuguée
par une photo de Grace Kelly dans ce film qui fut tourné
sur la Côte d’Azur, La Main au Collet. Milady,
c’est son petit nom, est une précieuse, avec
un rien de férocité. À force de lui faire
la leçon, elle arrive à supporter Sam, mon canari,
mais je crois qu’elle n’aime pas le jaune !
Malgré tout ce petit monde à chouchouter, j’arrive
à trouver de temps en temps des moments de tranquillité.
Le ventre alourdi par les noisettes, les écureuils
somnolent sur le dos, serrés les uns contre les autres,
tandis que Sam s’endort, la tête sous l’aile
gauche. Il ronfle un peu, ça m’arrive aussi,
alors... pas la peine de la ramener ! |
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TROUBLE |
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Au
bout d’une heure, le décor change soudainement.
Nous pénétrons dans une vallée encaissée
entre de magnifiques stratifications. Un filet d’air
frais, presque irréel, nous surprend. L’un de
nos porteurs s’écrie :
— C’est Al-Batrã !
L’archéologue de l’expédition me
murmure à l’oreille :
— Il s’agit de Pétra. Les inscriptions
sont antérieures au Ve siècle av. J.-C. Elles
sont usées et difficiles à dater avec précision.
Je ne comprends pas tous les signes qui sont gravés
dans la roche. Voyez ce cercle, comme un disque solaire, sur
la poitrine de ce personnage ! Il est particulièrement
étrange… |
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SERENA
IN THE NIGHT |
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Au
mur, le tiers d’un poster du Che est resté accroché
avec mes illusions vernissées. Tout n’est que
désordre. J’attends Serena.
Tout avait commencé dans un bar à putes de Miami.
C’est là que je l’ai rencontrée.
Il était très tard, peut-être même
trop. Derrière un Daiquirí où trempait
une rondelle de citron, je l’ai entendue dire :
— Alors, on trinque ?
La soirée s’effilochait comme le bas de mon imperméable
et ce doit être pour cela qu’elle me surnomma
Marlowe. J’avais sûrement l’air de sortir
d’un film en noir et blanc que j’essayais désespérément
de coloriser. Alors, va pour le détective aux lenteurs
décalées ! |
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LE
LUTIN SANS PEUR AVEC REPROCHE |
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Je
suis en train de regarder ma série préférée
: Largo Winch, lorsque la follette zappe toute seule. Au milieu
d’un écran enneigé apparaît un lutin
qui me dit : « J’ai capturé une sirène,
nia, nia, nia ! Je la retiens prisonnière et je vais
l’épouser ! » Mais, qui est ce con ?
L’avantage avec la télé, c’est le
zapping. Je change de chaîne, plus de son, et toujours
la gueule hilare du lutin ! Je fais une rapide check-list
de la situation et je conclus que cet abruti a dû me
dérégler quelque chose. La semaine suivante,
j’ai l’idée de me rancarder auprès
d’un vieux pote, le veilleur dans Dark Angel. Mais si,
vous le connaissez ! Je le bigophone donc :
— Logan ? C’est moi... Il faut que je te parle
! |
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KEEP
COOL, RESPIRE... |
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Enclin
à éviter la monotonie, mon farceur invisible
décida le lendemain de tapoter à la fenêtre.
Toujours disposé à faire sa connaissance, j’ouvrais
une fois encore et, à mon grand étonnement -
je dois bien l’avouer -, une quantité incalculable
de mouches en treillis pénétra chez moi. Une
grosse mouche, vert et noir irisé, donnait des ordres
:
— Vous : Pondez ici ! Les autres : Pondez là
!
À un moment, j’eus envie de dire : « Peut-être,
pourrais-je vous être utile ? » mais la chef-mouche,
lisant dans mes pensées, me regarda avec un œil
dédaigneux. Je n’insistai pas, finissant même
par m’habituer à leur présence. L’abondance
de la ponte, elle, posait problème ; il y avait des
œufs partout, ne demandant qu’à éclore.
En colère, je hurlais :
— Que l’on me débarrasse de cette vermine
!
Venant des quatre coins du plafond, j’entendis en écho
à mes revendications :
— Pas de problème ! Il n’y en a pas pour
longtemps !
— Qui parle ?
Pas de réponse. M’approchant de l’un des
coins, je remarquai de grosses araignées - d’au
moins une livre - dont je n’avais jamais soupçonné
la présence. L’une d’elles me sourit et
me dit d’un air débonnaire :
— Keep cool, Man! Ça va s’arranger...
Des araignées anglaises, chez moi, c’était
la meilleure ! Je savais qu’avec la C.E.E. tout était
possible, mais je n’avais jamais entendu parler du marché
commun des aranéides ! Sans s’occuper de moi,
la plus grosse, avec la voix de Barbara Hendricks entonna
lentement Un jour mon prince viendra extrait de Blanche Neige
puis termina son récital, je crois me souvenir, par
un extrait de Mary Poppins : Les p’tits oiseaux. Même
chanté par une araignée, c’était
divin. |
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L’ERREUR
EST INHUMAINE |
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—
Des greffes ? Quelles greffes ? Dans la catégorie des
bonnes nouvelles, vous avez quoi encore en réserve
?
— Soyez pas mesquin ! C’est quand même grâce
au professeur que vous pourrez remarcher !
— Que je pourrai remarcher ?!
— Ben oui ! Dans l’accident, vos deux jambes...
elles se sont détachées... Plouf, dans la nature,
les gambettes ! Mais je vous rassure, les coupes étaient
nettes, propres, on n'aurait pas mieux fait avec un scalpel
!
— Alors, j’ai deux jambes artificielles…
ou, au mieux, les miennes et je devrai faire des années
de rééducation ?
— Ce que vous pouvez être pessimiste ! Votre amie
qui est passée hier soir me l’a bien dit : «
À son réveil, ménagez-le. Il va d’abord
être furieux, puis désespéré !
»
Je doute que tout cela soit vrai mais elles me paraissent
bien lourdes ces jambes cachées sous ce tas de tissu
taché de sang. Rattrapant le sourire béat de
mon infirmière avant qu’il ne franchisse le pas
de la porte, je bougonne :
— Excusez-moi, j’ai été ronchon
tout à l’heure !
— C’est rien... rien du tout ! Maintenant ce que
je redoute le plus, c’est lorsqu’on va vous ôter
les bandages. Je préférerais ne pas être
de service ce jour-là. |
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METAMORPHOSE |
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Mes
vêtements me gênent de plus en plus.
Le jour où je m’étais cassé la
patte – je veux dire le bras –, la douleur avait
été si intense que la première image
qui m’était venue à l’esprit était
celle d’un renard à la patte broyée par
un piège, dans un documentaire de Rossif ; j’avais
noté ce détail. En me regardant dans la glace,
je trouve que mes deux incisives ont poussé plus rapidement
que mes autres dents. L’idée en elle-même
est stupide car il y a bien longtemps que ma croissance est
terminée pourtant, certains jours, ma langue me gêne
vraiment ; par manque de place, je suppose.
Février commence aussi à tomber en poussière.
C’est mauvais signe !
Un mois qui tombe, ce n’est pas grave. Mais si tous
les mois de ce fichu calendrier s’en mêlent, il
y a fort à parier que ce qu’il me reste à
vivre va défiler aussi vite. J’ai envie de viande
crue accompagnée d’herbe arrosée de pluie.
Bien sûr, ce n’est pas ce dont j’ai envie
d’habitude mais je vais devoir me résigner à
manger ce que mon instinct me dicte. |
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LES
HERBES FOLLES |
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C’est
en pénétrant dans la vallée des herbes
sauvages qu’il sut qu’il n’en fallait pas
plus à la nature pour se rendre désirable. Il
sentait intuitivement que son destin était tracé.
Il avançait calme, résolu. Autour de lui, de
grandes herbes jaunes, longues et coupantes l’effleuraient
en laissant sur sa peau de cuisantes brûlures. De grands
roseaux couleur de chocolat amer se crevaient et laissaient
tomber de la bave de pollen. Irritation des narines, désir
d’éternuer. Ni agréable, ni désagréable.
Dérangeant. Des colchiques tachaient le sol. Danger
en suspens... Aller plus loin. Avancer jusqu’aux lèvres
de petites flaques d’eau irisées où ses
dents se refléteraient comme des touches d’aquarelle.
Éclats lumineux, jour incertain. Un ciel d’orage
plombait le tout. Herbes folles aux allures de petits rats
d’opéra malhabiles. Décor punitif.
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LA
CANNE BLANCHE |
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Il
avait prévu autre chose pour cette journée mais
il acquiesça, comme si son destin était lié
à celui de cette femme. Finalement, il était
ravi de l’accompagner. Elle parla peu pendant le trajet
mais lorsqu’ils traversèrent la cour intérieure,
elle compléta ses explications :
— Vous ne pouvez pas vous tromper. C’est une petite
salle qui sent toujours la vieille cire.
Dès leur arrivée, il fut fasciné par
l’orgue de verre qui se trouvait au fond de la pièce.
En s’approchant, il mesura l’ampleur de sa méprise.
Ce qu’il avait pris pour un orgue était un nombre
impressionnant de bocaux empilés les uns sur les autres.
Comme une manifestation de son inconscient, la vieille dame
lui dit :
— Cher monsieur, vous êtes ici au musée
des larmes. |
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LE
PULL QUI DEMANGE |
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Je
suis au milieu d’une grosse pelote de laine. C’est
doux au toucher. Ça sent bon. Une chaleur m’entoure,
j’ai de la place, je ne suis pas mal du tout. Lorsque
je m’étire, la pelote s’allonge sans opposer
de résistance.
J’essaie de rassembler mes esprits. Si j’avais
des souvenirs, je pourrais sans doute comprendre pourquoi
je suis au milieu de ce cocon mais je n’ai aucune réminiscence
de ce qu’il m’est arrivé. Entre mon enfance
et cet instant, ce n’est qu’un vide ! Et lorsque
je ferme les yeux, j’ai le vertige. Comment ai-je pu,
sans m’en rendre compte, me retrouver au milieu d’un
tel enchevêtrement laineux ? Dans le flou de plusieurs
couleurs mélangées, j’entrevois des brillances.
Certainement des fils d’argent. J’entends des
bruits venant de sources inconnues et cela m’agace.
Deux mains s’approchent, elles me soulèvent.
Je crie : « Je suis à l’intérieur
! Faites attention ! » mais la machine humaine, propriétaire
de ces mains, ne semble pas se soucier de moi. Elle me plonge
dans une teinture vermillon qui me couvre d’un sang
artificiel, une couleur végétale qui s’effiloche
en filaments rouges qui dégoulinent sur ma poitrine
; au plus profond de moi, cela dérange mes fonctions
corporelles. |
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LE
SYNDROME DU KANGOUROU |
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Ce
matin-là, le heurtoir fit un bruit mat suivi de deux
autres coups plus forts. Dwan ouvrit, leva les yeux, c’était
bien un kangourou de deux mètres qui le regardait fixement
en lui souriant.
— C’est pourquoi ?
— Je viens pour la petite annonce. Vous avez demandé
de l’aide…
Dwan fut incapable de prononcer un mot, tant sa surprise était
grande. Le kangourou ajouta :
— Peut-être avez-vous des a priori ?
— Non, pas du tout ! Entrez, je vous en prie…
Le kangourou esquissa un sourire :
— Mon nom est Conscience... Ça s’écrit
comme la conscience... |
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FRAGMENT
DE SIXTIES |
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Ils
arpentaient fameux boulevard sans se soucier de personne.
De dessous leurs pieds s’envolaient des velours de poussière
qui s’accrochaient aux baies vitrées. Leurs jambes
aux contours vert bouteille irisé étaient retenues
par des étiquettes de cuir transparent. Ils suivaient
un chemin calculé à l’avance et ne se
souciaient pas de notre présent. Ils avaient utilisé
une notion du temps qui nous était inconnue. Ils se
fondaient dans la foule et la traversaient sans mouvement
d’humeur, donnant l’impression de voyageurs qui
auraient oublié jusqu’au but de leur visite.
Ils étaient l’émanation d’un monde
obscur, inorganique, et leur lourdeur évoquait les
éléphants d’Hannibal traversant les Alpes.
Tout ce qui était fragile se brisait sur leur passage,
excepté les corps. Spectacle gothique composé
d’armures et d’armes dont l’origine se perdait
dans la nuit des temps. |
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Ce
livre est édité par
- Alain Daumont
110 pages — Format : 15 x 23 cm
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