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Dix
nouvelles du Nouveau Monde illustrées par l'auteur
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Février 1956… le mois le plus froid du
XXe siècle. Sortir sa minuscule 4cv Renault du
garage relevait de l’exploit pour mon père.
J’avais reçu un globe terrestre qui s’éclairait
pour Noël, c’était magique ! Je le
faisais tourner inlassablement jusqu’à
me brûler le bout des doigts, mais mon regard
s’arrêtait systématiquement sur le
Nouveau Monde, et particulièrement sur les États-Unis
et le Canada. Alors, curieux de tout, j’ai commencé
par des noms : Champlain, Montcalm, Sitting Bull, Crazy
Horse, Davy Crockett et tant d’autres. Ensuite
des lieux : Monument Valley, la route 66, la Louisiane,
les chutes du Niagara… Et enfin le cinéma,
les westerns, le Far West, avec une préférence
pour les films rétablissant une vérité
historique longtemps occultée : le génocide
des Indiens, Soldier Blue, A Man called horse, Dances
with wolves…
Selon l’adage, à force de chercher on trouve.
Alors, je ferme les yeux et je voyage sur ce continent,
j’y ai trouvé un monde qui me fascine.
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L'ÉCORCHÉ
DU MONT SANS NOM |
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Quand
Jean-Gauthier sortit couper du bois, le loup était là, blanc
comme la neige immaculée des forêts du nord, virginal, et
il le regardait fixement. Il lut dans ses yeux qu’il ne s’abaisserait
pas à quémander de la nourriture, et à cet instant, il comprit
que la main de l’homme ne l’avait jamais effleuré, qu’il ne
connaissait rien de la race humaine, ni du manque affectif.
Ses cabotinages, ses effets de pattes, ses cabrioles et ses
petits bonds désordonnés l’amenèrent à penser qu’il se trouvait
en présence d’une louve ; après de longs bâillements
qu’il prenait pour des rires, elle se retournait lentement
et commençait son numéro de charme. Parfois, elle se couchait
sous l’érable pourpre et des feuilles rouge sombre parsemaient
sa fourrure, simulant d’inquiétantes blessures, mais elle
se relevait, s’ébrouait et allait vers lui.
En certaines occasions, elle disparaissait plusieurs jours,
mais elle revenait toujours. Était-ce le bruit causé par la
cognée des bûcherons qui œuvraient pour la scierie voisine
qui l’effrayait ? Ou peut-être le passage des trappeurs
qui s’arrêtaient quelques heures après de longues traques
en solitaire ? S’ils négociaient leur chargement malodorant
de peaux de castors, de rats musqués ou de renards à un cours
satisfaisant au poste de traite, ils pouvaient séjourner au
saloon pendant quelque temps ; mais bien souvent, les
pièges ne constituaient qu’un apport d’argent dérisoire, alors,
les plus épris de liberté vendaient, juste pour quelques mois,
leurs services à des propriétaires terriens ; d’autres,
plus chanceux, réussissaient parfois à survivre grâce à une
pépite d’or gagnée aux cartes. |
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MAUVAISE
FARCE |
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Pourquoi avions-nous quitté l’Europe aussi vite ?
Peut-être à cause de la faim et des épidémies
qui sévissaient à l’époque. Mais
la question était ridicule, nous n’aurions pas
dû nous la poser, car jusqu’ici nous n’avions
vécu que de nos rêves. Le soir, au coin d’un
feu mourant qui charbonnait le bout de nos nez, nous évoquions
les récits des voyageurs, fréquemment colporteurs,
que nous rencontrions sur les marchés. Ils montraient
des objets en os d’albatros ou des bourses faites dans
des panses d’animaux à l’odeur tenace qui
marquait leur passage, preuve des aventures qu’ils monnayaient
en racontant leur histoire. Ces êtres souvent rustres
qui partaient avec presque rien revenaient encore plus démunis,
édentés à cause de la malnutrition, la
peau tannée et balafrée de larges cicatrices
oubliées par le soleil, mais avec le regard brillant
de ceux qui savent. C’était ça notre rêve
d’Amérique, un subtil mélange de peur
et du désir de voir grandeur nature ces féroces
Indiens que nous ne connaissions que par des récits.
Il m’est arrivé d’assister une fois à
une scène étrange. Un jeune homme maigre, avec
la voix cassée, apostropha le bonimenteur :
— Vous ne dites pas toute la vérité !
Pourquoi cachez-vous qu’il y a des Indiens paisibles
qui vivent de l’artisanat et qui ne voudraient connaître
notre Europe de misère pour rien au monde ! Ils
peuvent passer des hivers entiers, dans leur tipi, à
transmettre la tradition en contant aux nouvelles générations
des légendes dont l’origine se perd dans la nuit
des temps, et cela… sans rencontrer le moindre étranger.
Un jour, une vision prophétique inspirera l’un
d’eux, celle qui leur prédira que notre convoitise
risque de les faire disparaître à jamais !
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VIE DE CHIEN |
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Après un hiver à trapper, il apportait ses peaux
au poste de traite où il les négociait. Pas
assez cher, pensait-il… Puis il retrouvait sa hutte,
au printemps, une cabane en bois où il vivait en ermite.
Il n’avait appris, comme beaucoup, qu’à
refaire les gestes primitifs de ses ancêtres, la conscience
universelle lui donnant quotidiennement l’inspiration
pour survivre.
Il évitait d’aller en ville, elle était
devenue le creuset d’une bande d’irresponsables
qui se défiaient de nuit comme de jour ; ça
tiraillait tant que les vautours, dans une spirale dépressive,
marchaient le plus souvent au lieu de planer.
La ruée vers l’or avait attiré ce qu’il
existait de pire comme gâchettes, et les récompenses
motivant les chasseurs de primes, pour certains il était
plus lucratif de provoquer un duel que de travailler dans
une mine. Car la terre avait épuisé ses entrailles
aurifères, à trop la forer, elle était
devenue stérile. Et quand un ravinement ouvrait encore
parfois ses flancs pour un malchanceux pensant puérilement
faire fortune, d’autres se berçaient d’illusions
et parlaient d’importants gisements d’argent
et de cuivre à exploiter. La vie gavait de certitudes
les utopistes en mal de valeurs et d’espoir pour la
création d’une nouvelle nation.
Moi, j’étais souvent là quand Job venait
s’asseoir au saloon pour boire un whisky ou pour déjeuner.
Il se montrait toujours gentil, il me parlait, il m’expliquait
qu’il préférait vivre dans le silence
et le calme de la forêt plutôt que dans cette
violente agitation. De temps en temps, il partageait son
repas avec moi.
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ON
FRAPPE AU CARREAU |
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Sans
électricité les premiers soirs, la maison était
sinistre, mais quand la compagnie rétablit le courant,
elle prit un air de fête et Raphaëla se sentit
immédiatement à son aise dans son nouveau décor.
Installée dans un vieux rocking-chair trouvé
au grenier, elle admirait le dernier quart orangé de
la lune inciser le ciel quand un homme noir au regard vide,
psalmodiant d’inaudibles phrases, traversa le parc,
perdu dans un ailleurs d’une profondeur insondable dont
elle était exclue. Un frisson la parcourut, heureusement
dissipé par l’arrivée de Mae, sa voisine
et nouvelle amie : « J’ai apporté
des cookies, tu nous fais du thé ? Demain, mon
mec te déposera un frigo en état de marche parce
qu’ici… faut se fabriquer du froid ! »
La première fois que Raphaëla avait ouvert le
robinet, il avait déversé une eau saumâtre
qui empestait le soufre avant de s’éclaircir
lentement. Mae la rassura et ajouta en riant : « C’est
normal… elle est sulfureuse comme certains quartiers
de la ville ! T’inquiète… tu peux
faire le thé. »
Puis, en grignotant posément les biscuits, Raphaëla
lui raconta le passage de l’homme ; Mae le connaissait,
il rôdait souvent dans les environs, traversant les
jardins ou s’attardant, immobile, au milieu des rues.
Personne ne lui parlait, pour beaucoup il était transparent,
voire inquiétant. Mais il ne restait jamais longtemps
en ville, son territoire, c’était le bayou.
Il se manifesta encore le lendemain, poursuivant son soliloque,
une musique sourde comme le bourdonnement d’un essaim
d’abeilles que Raphaëla décida d’intégrer
au paysage local avec la chaleur moite et suffocante, et la
pluie venant du sud.
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GREEN
CARD ou LE FBI ET LES OISEAUX |
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Le soir, un homme de forte corpulence accompagné par
un latino, visiblement son bras droit, frappa à notre
porte : « Vous avez été choisis
parmi un grand nombre de candidats potentiels, et des sept
finalistes vous êtes les mieux placés. »
Conscients de n’être qu’Européens
aspirants américains, on est dans un premier temps
agréablement flattés. Il en faudrait si peu
pour que le rêve américain bascule dans l’Hudson,
et stupidement, on ne demande même pas pourquoi, surtout
s’il ajoute : « FBI », en
montrant rapidement carte et badge de l’agence.
Et toujours sous le choc, revient en mémoire cette
gravure représentant trois tentes et un fortin établi
sur l’île de Manhattan par les Hollandais, un
petit œuf dont l’éclosion ferait un jour
New York… mais l’autre, interrompant ces divagations,
ajoute avec un fort accent :
— Vous vous demandez sûrement pourquoi le
FBI s’intéresse à vous...
Ça, c’était une bonne question.
— Eh bien, voilà ! Notre mission étant
de tout savoir, nous vous observons depuis quelque temps.
Vous n’ignorez pas qu’ici, tout le monde espionne
tout le monde… c’est ça la chance de vivre
dans une démocratie… vous nous intéressez
donc pour deux raisons, votre situation géographique
et vos petites manies. Parce que, dans l’immeuble en
face du vôtre, habite un gros bonnet du cartel de Medellín
à qui sa maîtresse rend régulièrement
visite. Grâce à vos repérages au téléobjectif
et à tout ce que vous devez consigner, votre collabo¬ration
va nous être précieuse.
Là, j’essayai d’en placer une !
— Ce que nous faisons ne relève pas du FBI !
Je ne sais pas où vous êtes allé pêcher
ça, mais nous ne faisons qu’observer et photographier
les oiseaux et leur ballet sur la mer… c’est notre
métier et notre passion !
—Oui, oui… bien sûr, bien sûr…
C’était comme si j’avais parlé pour
rien. J’allais dire : c’est stupéfiant
puis je me ravisai, l’expression portait à confusion.
L’anonyme du FBI voyant qu’il n’obtiendrait
rien en nous brusquant renforça son argumentation :
— Évidemment… mais vous pourriez faire
d’une pierre deux coups… votre plaisir ajouté
au service que vous rendriez à la nation qui vous accueille !
C’est le moment crucial où l’on prend conscience
que l’on n’est vraiment chez soi que sur la terre
de ses aïeux. Je commençais à avoir de
sérieux doutes quant à la crédibilité
de leur identité. |
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MOTEUR !
« INITIATION »,
PREMIÈRE |
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C'étaient les premiers frimas… Arrivés
en 4x4 par une sente bourbeuse, nos regards plongèrent
enfin dans une vallée proche de la frontière
canadienne. Avec son village de tentes au centre, l’endroit
tenait plus d’un film de John Ford que de la réalité.
Quelques jours auparavant, dans un petit bar, un Indien
m’avait raconté que des rites initiatiques
permettant d’entrer en contact avec les anciens étaient
toujours pratiqués dans un lieu connu de lui.
Dans notre groupe, personne ne semblait convaincu, j’étais
le seul à être intéressé, et
même à vouloir participer à ces manifestations
encore aujourd’hui condamnées par la loi fédérale.
Depuis très longtemps, j’avais envie d’en
savoir plus à la fois sur moi-même et sur mon
passé hermétiquement clos.
Quelques bouteilles de Bourbon plus tard, et après
avoir obtenu les renseignements nécessaires pour
retrouver le village, nous étions partis à
sa recherche.
Une tente immense s’élevait au centre, comme
un défi à la nature… Quelqu’un m’y
entraîna. À l’intérieur, plusieurs
vieillards se tenaient assis, formant un cercle. Je n’aurais
jamais dû lever les yeux. Du sommet de la toile pendaient
des cordages qui se terminaient par d’énormes
serres d’aigle. J’ignore si je crus ou si je sus
ce qui m’attendait, mais je sentis mes jambes mollir.
Au bout de quelques secondes, le torse nu, accroché
ou plutôt suspendu, car mes pieds ne touchaient plus
le sol, je franchissais les limites de mon irréductible
soif de savoir.
Devenu une sorte de toupie de chair et de sang qui ne pouvait
plus s’arrêter de tourner, je ne garde de ce
départ vers l’inconnu qu’un souvenir
brumeux, mais cuisant, car je crois que je me suis évanoui
à ce moment-là.
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CHARLES,
SARAH, MARIA... |
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Du bar enfumé du motel s’échappaient une
forte odeur de frites et la voix des Platters. Only you
se confondait avec le roucoulement des choppers qu’un
gang de bikers révisaient avec amour tout près
d’un bassin d’eau putride, aux irisations ne révélant
leur beauté qu’aux téméraires,
d’où émergeaient quelques bidons d’huile.
Un petit oiseau bleu s’acharnait à creuser le
nid de ses amours dans un cereus géant, pâle
témoignage de tendresse dans ce monde hostile.
Charles de Grigny venait de tout perdre… sa femme, sa
voiture, ses vêtements et même le discret portable
dont il ne se séparait jamais. Il offrait un entracte
divertissant aux Evil Angels qui partageaient leur maigre
butin en attendant mieux, un camion chargé d’or,
dans les prochaines heures. L’un des hommes se décida
à parler, l’œil luisant de mauvaises intentions :
— C’est parce qu’on est les maîtres
de ce trou du cul du monde qu’on va te laisser quelque
chose !
— Ah, merci ! balbutia-t-il.
— Ouais ! Alors, tu choisis ta bagnole, ta
bonne femme, tes fringues ou ton portable ? Et vu ton
accoutrement… m’étonnerait pas que tu prennes
le portable !
Pour Charles de Grigny, vacancier égaré baignant
dans des odeurs de carburant et clochard en herbe, réfléchir
devenait un luxe. Devant lui, le petit résumé
d’un parcours qui l’aurait flatté en d’autres
circonstances s’étalait au garde à vous.
Un étrange frisson accompagné d’une sensation
de flotter le traversa.
Sarah tremblait convulsivement. Dans un état pitoyable.
Il s’exhalait d’elle un curieux mélange
de parfum, de sueur, de frites et d’essence. Il baissa
les yeux sur ses vêtements ; même dans la
plus infecte crasse, il trouvait encore le courage de rire,
alors la phrase d’un certain curé ressurgit de
sa mémoire. « Pour le meilleur et pour le
pire. » Charles et Sarah, Sarah et Charles...
On n’entendait plus Only you. Un géant
bardé de cuir s’avança vers lui, les Mauvais
Anges attendaient sa décision. Il cria : « Je
garde Sarah ! », dans un mélange de
honte et de soulagement qui éclaboussa ces deux êtres
en perdition, alors que les hommes éclataient d’un
rire sonore qui couvrit le bruit des bécanes. |
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LE
TRÈFLE À QUATRE FEUILLES |
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Pierrot
et Colombine traversaient la route, se dirigeant vers la Banque
Centrale des États-Unis, pendant que William Harley
et Arthur Davidson se chamaillaient à la sortie de
l’école, quelques centaines de mètres
plus loin… Dans sa main gauche, Pierrot tenait fermement
le canon d’une Winchester 73 ; Colombine, elle,
portait un Colt spécial frontière à la
ceinture. Ils n’étaient pas très rassurés
quand ils se plantèrent devant le guichet où
des gens à l’allure misérable venaient
chercher quelques dollars.
Pourquoi donc les propos d’une vieille Ojibwée
croisée sur le marché de Kenosha revinrent-ils
à l’esprit de Pierrot à cet instant précis ?
« Souviens-toi, lui avait-elle dit, toujours…
que nous sommes responsables de nos actes. Nous devrons en
répondre ! »
Et pourquoi encore son regard s’attacha-t-il à
la vieille pendule arrêtée depuis longtemps ?
Un détail insignifiant qui, pendant une fraction de
seconde, retint son attention. Une fraction de seconde qui
permit à un homme de dégainer son arme.
Projeté en arrière sous l’impact, Pierrot
s’écroula, une balle logée dans le cœur.
Colombine se précipita et, se penchant sur lui, perçut
une présence dans le cristal vert émeraude de
ses yeux, une présence fatale…
Elle plaça machinalement le canon de son colt sur sa
tempe, elle pressa la détente, et quelques anecdotiques
gouttelettes de sang vinrent maculer la pendule.
Ainsi se terminait la courte vie des parents de Max. |
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DE
CHAIR, DE VERRE ET D'ACIER |
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Instinct
de survie !
Elle quitta son bureau précipitamment et courut vers
le couloir alors que des tiges d’acier crevaient des
pans de cloison.
Elle s’engouffra dans l’escalier où des
corps s’entassaient déjà.
D’où émanait le danger ? Qui ou quoi
avait déchaîné cette fureur soudaine,
cette incohérence, cette situation ubuesque, au cœur
de laquelle elle se trouvait pourtant ?
Il était temps de se reprendre. Elle devait appeler
son fils, ils avaient rendez-vous en fin de matinée
avec sa nouvelle petite amie ; à cet instant,
qu’il soit trop jeune pour en avoir une lui sembla dérisoire,
il ne fallait pas qu’ils viennent. Pour une fois, elle
se réjouissait de son manque de ponctualité.
Que de fois elle lui avait reproché ses retards récurrents !
Heureusement, elle gardait toujours son portable dans sa poche,
mais il n’y avait plus de réseau ; la communication
n’aboutissait pas. La peur s’infiltrait en elle
pendant qu’elle descendait les premiers étages,
un flot d’impressions et d’idées contradictoires
la submergeait. Puis elle aperçut des casques éclairés
dont les faisceaux balayaient de larges excavations, sûrement
un groupe de pompiers. Un souffle chaud la frôla et
le temps d’une respiration, un amas de gravats expédia
ces présences réconfortantes dans le vide alors
qu’un bruit mat les engloutissait, puis elle ne distingua
plus qu’une imperceptible lueur. Elle était terrorisée.
Une phrase, une seule phrase tournait en boucle dans sa tête :
je ne veux pas mourir ! C’est à ce moment-là
qu’elle crut voir passer de gros oiseaux à travers
une vitre éclatée, vision fugitive de petits
golems disloqués, échappés de l’atelier
de leur créateur. Des gens se jetaient dans le vide.
Pour survivre, elle s’efforçait de nier la réalité,
imaginant qu’ils auraient la chance de s’en sortir,
mais elle interrompit sa réflexion, l’heure n’était
pas aux calculs de probabilités.
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PETITE
PLUME ROUGE |
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Un matin, troublé par un rêve, son esprit s’engluait
dans des images d’une autre époque, des hommes
différents de ceux de sa communauté qui brûlaient
des aliments et du tabac dans un grand feu ; il comprenait
qu’ils entamaient leur voyage de paix et, depuis, un
avertissement en forme de révélation lui trottait
dans la tête : « Un jour, il faudra
bien prier avec l’aigle et le corbeau ».
Ce rituel onirique le marqua pour la vie.
Il raconta ce songe à ses parents qui, sans en expliciter
clairement la signification, déclarèrent que
le Grand Esprit l’avait sûrement visité.
Ils devaient sans doute le trouver trop jeune pour en savoir
plus. Alors, il reprenait ses habitudes et parlait aux totems
disséminés dans la campagne.
Heureusement, Grand-père lui consacrait beaucoup de
temps. Ses pouvoirs de guérisseur le nimbaient d’une
aura incontestable et si la tradition orale des Cherokees
l’avait instruit depuis des générations,
la proximité avec les Haïdas avait ciselé
ses connaissances.
Il savait calmer l’exaltation et les esprits quand un
conflit de voisinage éclatait, et si les chevaux étaient
malades, le simple fait de poser le plat de sa main au niveau
du chanfrein les soulageait. Il parlait au vent, à
la pluie, aux arbres ; il assurait, en quelque sorte,
le relais entre le Grand Esprit et ceux enracinés dans
la mère nourricière qui vivaient, pleuraient,
mais riaient aussi. Petite Plume rouge aimait son enseignement.
Ce savoir l’avait métamorphosé en véritable
livre d’histoire aux yeux de l’enfant, et comprenant
qu’il voulait tout connaître de l’itinéraire
de ses ancêtres, le vieil homme lui contait nombre d’actes
héroïques ; et même certains autres
qu’il trouvait suicidaires, car identifier les erreurs
des anciens lui permettrait peut-être de ne pas les
reproduire.
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