Dix contes pédagogiques illustrés par l'auteur
160 termes expliqués

« C’est l’heure de dormir. Demain, il y a école ! »
Bien enfoncé sous la couette, le voyage peut commencer.
Il n’y a pas d’enfance sans rêves parsemés d’êtres fabuleux. Je ne mentirai pas, certains sont effrayants. Le lendemain, ma grand-mère disait pour me réconforter : « Tu as encore mangé trop de chocolat ! » Bien plus tard, un petit détail de la vie de tous les jours entrouvre la boîte à rêves. Cet été a été particulièrement chaud. Un après-midi, un Robert-le-Diable s’est posé sur le buddleia du jardin. Ses belles couleurs safranées, la découpe de ses ailes, et l’été 1956 revint d’un seul coup à ma mémoire. Ma grand-mère avait sorti le gros chaudron de cuivre pour faire de la confiture de mirabelles. Pendant que de nombreuses guêpes tournoyaient autour d’elle, je regardais le jus s’épaissir, formant d’énormes bulles odorantes. J’étais vulcanologue, la figure cramoisie, bien au-dessus du chaudron de l’enfer !
Un enfant n’a besoin de personne pour bien rêver... enfin, s’il a le privilège du temps réservé à l’enfance... Grandir à la bonne vitesse, entouré des siens, est le seul secret de cet âge qu’il faut bien quitter un jour !

 
LIBELLULAS
 
Depuis que les planètes se réchauffaient, les migrations des libellulas s’opéraient en désordre et les rendez-vous des années précédentes avaient laissé un souvenir cuisant dans les mémoires. La chaleur sur Mercure les avait obligées à porter des combinaisons de vulcanologue et l’inversion des pôles de Vénus avait été la cause de nausées à répétition. La décision avait donc été prise de ne retourner ni sur l’une ni sur l’autre. Le rassemblement, c’était une occasion pour se rencontrer car les libellulas venaient de différents pays. On reconnaissait celles arrivées du Cathay à leur belle couleur bouton-d’or et à leur forte odeur de jasmin. Les habitantes du Cipango exhalaient un doux parfum de lilas de Perse et se différenciaient par le délicat jaune de Naples de leurs ailes ; quant aux descendantes des Hyperboréens, peuple mythique que les Grecs situaient à l’extrême nord de l’Europe, elles se démarquaient par leur résistance au froid.
Ce n’était pas encore la disette mais, à chaque rassemblement, elles constataient que la diversité de l’alimentation diminuait ; elles avaient dû s’habituer au ptérodactyle séché !
 
KATIA ET LA MAISON DE POUPÉES DE NOVGOROD
 
La vie devenait de plus en plus dure car la main-d’œuvre manquait pour cultiver les dizaines d’hectares de bonne terre à céréales ; beaucoup de paysans fuyaient devant l’envahisseur. De source sûre, on savait que les troupes de Napoléon progressaient chaque jour davantage. Ce soir-là, quelques minutes avant le souper, le vieil Ivan réunit tout le monde à l’office :
— Notre avenir est incertain, l’armée française attaque notre sainte Russie . Aux dernières nouvelles, elle aurait franchi le Niémen et elle marcherait sur Moscou. Prions, car je ne sais pas ce que nous allons devenir !

Katia n’avait que douze ans alors ces histoires de guerre, ça lui passait un peu au-dessus de la tête. C’était pourtant cela qui allait provoquer la révolte de ses poupées. D’ailleurs sa préférée, une poupée tatare , venait de lui mordre le doigt.
— Mais pourquoi fais-tu ça ? pesta Katia.
— Que se passe-t-il ? demanda Ivan.
— C’est ma poupée qui m’a mordue !
— Mais Katia, ça ne mord pas une poupée, ça n’a pas de vie ! répondit Ivan en essayant de garder son calme. C’est juste un jouet de petite fille !
 
BLANCHE ET LE DRAGON
 
Blanche exerçait un beau métier, elle éduquait les écureuils roux de la forêt aux glycines , la forêt où elle était née. Ses écureuils avaient la réputation d’être les meilleurs casse-noisettes du royaume alors, pensez si elle les bichonnait ! Une fois par semaine, elle les brossait avec des piquants de hérisson – à condition, bien entendu, que l’un d’entre eux accepte de prêter son dos – puis elle leur lustrait le poil. Les écureuils ne s’en plaignaient pas, ils trouvaient même ça agréable. Une fois leur travail terminé, elle récoltait les noisettes pour confectionner de délicieux gâteaux dont ils se gavaient. C’est dire si l’obésité ne date pas d’hier ! Blanche, qui accessoirement était aussi princesse, avait des projets, quelques pièces d’or et de l’avance sur son temps car elle voulait créer sa propre entreprise : Blanche et Écureuils & Co. Ça sonnait plutôt bien !

Tout aurait été harmonieux s’il n’y avait eu le dragon. Plus personne n’osait s’aventurer dans l’immense vallée de Mortefeuille. Le bruit courait qu’il était le gardien d’un trésor et avec le temps, son histoire était devenue une légende. Les villageois l’avaient surnommé le dragon à roulettes parce qu’ils prétendaient que le cliquetis qu’on entendait, la nuit, c’était le frottement de ses grosses pattes sur les cailloux, quand il faisait sa balade de santé. Mais tout cela n’était que commérages car personne n’avait eu le courage d’aller vérifier. Sauf, bien sûr, les écureuils qui étaient en affaires avec les dragons. Pour la couleur de leur pelage !
 
LE MASQUE DU KORRIGAN
 
C’était une époque trouble. La maison d'York et la maison de Lancastre se battaient pour la couronne d’Angleterre. Elles avaient plongé le pays dans la guerre civile : la guerre des deux roses, ainsi nommée à cause de leurs emblèmes respectifs, une rose rouge et une rose blanche. Le notable, espérant se renflouer, avait chaleureusement accueilli l’occupant ; il organisait des fêtes masquées, pour imiter celles de Venise. Une occasion rêvée pour se débarrasser des korrigans ! Il leur commanda trois cents masques pour la mi-carême. L’un d’entre eux trouva la proposition suspecte : cet homme qui jusqu’à présent n’avait affiché que du mépris pour eux les faisait travailler. C’était surprenant, il y avait anguille sous roche . Il mit les autres en garde mais après avoir voté à main levée, la majorité décida que la commande serait honorée. Les pièces de velours noir arrivèrent en grande quantité et les korrigans façonnèrent les masques jour et nuit pour terminer à temps ; ils les livrèrent même en avance.

La fête se passait au mieux. Vers minuit, l’un des convives cria. Il ne pouvait plus ôter son masque qui adhérait à son visage ; à chaque tentative, il s’arrachait un peu plus de peau. Un vent de panique saisit l’assemblée qui l’imita. Le résultat fut effrayant. Les jours suivants, on ne parlait plus que d’un maléfice et d’une secte des masques noirs !
 
JOCELYN DE LA NOIX
 
En fin de soirée, Opalyne, la fée bienfaisante, revint. Plusieurs fois, elle tourna autour de Jocelyn et lui tendit sa petite main, comme pour sceller un pacte. Leurs doigts se touchèrent à peine et, à la grande surprise du garçon, elle l’entraîna dans les airs. Il volait ! Ce sentiment de liberté l’impressionna agréablement mais quand ils traversèrent l’atmosphère pour se retrouver dans la nuit de l’espace, il eut un peu peur car il respirait difficilement. Opalyne posa ses lèvres sur les siennes et l’oxygène revint immédiatement dans ses petits poumons. Ils traversèrent la Petite Ourse puis la Grande et poussèrent même leur escapade jusqu’à Alpha du Centaure . Ensuite, elle lui fit découvrir la plus petite des planètes connues de l’univers : la planète des rêves ! Ils s’y reposèrent un peu puis elle lui expliqua que sur cet astre, et après bien sûr une sélection rigoureuse, on réalisait les plus beaux rêves…

Jocelyn se sentait déprimé. Cela faisait beaucoup de nouveautés pour lui qui venait de naître et puis, il n’avait pas de rêves. En fine pédagogue , Opalyne lui expliqua que les rêves se forment dans l’enfance, qu’être né adulte dans une noix avait probablement bloqué son usine à rêves. Elle faisait de son mieux mais Jocelyn se sentait infirme. Il prenait lentement conscience qu’il lui manquerait toujours quelque chose.
 
LES RATS GRAVÉS DU NAUTILE
 
L’homme lui proposa un gros nautile transformé en lampe mais Loïc en avait remarqué un autre, gravé, plus haut sur une étagère. « J’aimerais voir celui-ci » dit-il, en lui montrant. Le gros homme bougonna quelque chose du genre « qu’il lui venait de ses arrière-grands-parents et qu’il n’était pas à vendre, qu’il portait malheur », puis il se ravisa ; être commerçant, c’est en priorité être aimable. Il fit un semblant de sourire et se présenta :
— Moi, c’est Fernand !
C’était tombé comme un cheveu sur la soupe sans, pour autant, troubler Loïc qui insista :
— Enchanté, monsieur, mais pourrais-je voir ce coquillage ? J’aimerais le toucher.
Fernand l’attrapa avec difficulté, souffla sur la poussière et le posa devant le garçon.
— C’est comme vous le sentez, … je vous aurai prévenu !
Loïc prit le nautile dans ses mains. Une impression bizarre le parcourut, un léger frisson, puis il sentit un petit picotement sous ses doigts. Il posa instinctivement le bout de sa langue sur le coquillage, c’était le sel déposé par le vent qui le démangeait. Le décor ciselé dans la conque était original, quatre rats à longue queue avançant sur un sol craquelé. Ça, c’est pas plus breton que je suis l’évêque de Dinan ! pensa-t-il.

Une vieille dame l’observait depuis qu’il s’était approché de la camionnette :
— N’achète pas ce coquillage, mon garçon, il a l’Ankou !
— Il a… quoi ?
— L’Ankou… le mauvais œil ! dit-elle. D’où sors-tu, toi ?
 
LE FILS DE VLAD TEPES
 
Vlad Tepes, dit l’Empaleur, dînait en bonne compagnie avec ses vassaux , tous plus cruels les uns que les autres. Cultiver le mal était sa nature première, il devait son surnom à sa férocité inégalable. Personne ne souhaitait croiser son chemin, ni avoir rendez-vous avec lui, le diable n’est pas de bonne compagnie. Certains le surnommaient Dracula.

Quand les ténèbres tombaient sur la principauté danubienne , laissant à peine le temps aux villageois de rentrer le bétail, nul n’osait plus sortir car les sbires de Vlad volaient brebis et volailles pour le compte de leur maître. Tout était bon pour leurs larcins . Il disparaissait même des enfants. À l’aube, quand on retrouvait des carcasses déchiquetées dans les douves du château, les commentaires allaient bon train. Les réjouissances données par le prince de Valachie restaient un mystère pour la population.

Dans ce pays que l’on aurait pu croire abandonné de Dieu, une multitude de chapelles surgirent soudain de terre. L’homme poussé au désespoir devient inventif. Vlad redoutait la lumière, elles furent construites en hâte le jour. Il
était anticlérical , chaque hameau eut son clocher, un refuge où l’on était sûr de ne pas le trouver. À ses dires, les prêtres portaient malheur. La suite démontra que, pour sa part, il n’avait sans doute pas tort.
 
LE CHAT BLEU DE BATON ROUGE
 
Chaque matin, Edgar se promenait le long de River Road avec Louise, sa nounou. Il aimait qu’elle lui raconte des histoires et il ne se lassait pas de celle qu’on colportait sur le chat bleu. Il jubilait à l’idée de l’apercevoir car en plus de son étrange couleur, le petit félidé était toujours accompagné par deux alligators nains. À Baton Rouge, en Louisiane, cela n’étonnait personne ! D’ailleurs, sa mère – la grande Germaine qui mesurait un mètre quatre-vingt – prétendait que tous les crocodiliens naissent avec les dents molles. En réalité, personne ne s’était porté volontaire pour aller vérifier si c’était vrai. Quant aux nouveau-nés de cette race de prédateurs, ils pensaient sans doute que naître sans dents ou avec les dents molles, c’était du pareil au même !

Ce matin-là, Edgar saoulait Louise de questions. La vieille dame aux mains usées le mit en garde :
— Je sais bien que tu cours les bayous à la recherche de cette bête mais tu dois t’en méfier ! Chat bleu engendre audacieux et malheureux, dit-on. Mais tu n’en fais qu’à ta tête ! Je t’aurai prévenu.
Que le chat bleu porte malheur, ça dépassait les bornes ! Même s’il était haut comme trois pommes, Edgar n’avait pas l’intention de s’en laisser conter.
 
LE MANGEUR DE LIVRES
 
Pedro était bien content d’avoir décroché cet emploi à temps plein d’explorateur sidéral. Depuis le temps qu’il cherchait du travail ! Sa mission ? Découvrir dans l’espace des formes de vie inconnues sur terre. Et il ne devait pas revenir avant d’en avoir trouvé.
Dès qu’il arriva sur la planète Sinus , il se débarrassa de sa combinaison de cosmonaute. Qu’est-ce qu’elle est lourde, pensa-t-il. J’ai vraiment trop chaud là-dessous ! Sa fusée avait souffert pendant le voyage, elle aurait eu besoin d’un bon coup de peinture. Pour l’instant, c’était caillasse et compagnie autour de lui. Pedro récapitula ses rencontres : il avait croisé une étoile princesse, des météorites arc-en-ciel, une comète de gros calibre percée en son centre et qui sentait fort le cuivre , et pour finir, un sacré paquet d’ordures sidérales dont certaines étaient estampillées made in China. Les ordures devaient venir de France car les deux pays échangeaient à ce moment-là de gros avions contre des caleçons à bas prix ; le trou dans la comète, les Américains en étaient sûrement la cause, ils prétendaient trouver les mystères de l’origine de la vie dans la poussière sidérale. Pedro savait bien que dans son aspirateur on aurait trouvé la même chose, et pour moins cher ! Et qu’avec la différence, on aurait pu nourrir beaucoup d’enfants ! Mais personne ne lui avait demandé son avis.
Il n’avait pas fait dix pas sur cette planète quand il entendit :
— Chgrouff… Grompff… Grof !
Enfin, c’est ce qu’il crut comprendre car il ne connaissait pas la langue ! Le bruit venait de sa gauche, d’une montagne de livres au milieu de laquelle une petite bête dégustait… page après page, les ouvrages qui l’entouraient !
 
PACHA LE LABRADOR
 
Un homme qui se tenait un peu à l’écart, jusque-là très discret, vint se mêler à la conversation.
— Si vous m’offrez un verre d’eau fraîche, jeune homme… je vous raconterai céans l’histoire de Pacha le labrador.
— Pour un verre d’eau fraîche ? C’est tout ce que vous désirez ?
— C’est curieux comme les gens de la ville ont l’art de compliquer les choses ! murmura-t-il.

Avec son gilet de velours violet et son col empesé, il avait l’allure d’un parfait gentleman-farmer. Il poursuivit :
— L’eau fraîche vaut de l’or, vous devriez y réfléchir ! Je ne serai plus de ce monde lorsqu’un jour, dans votre beau pays de France, l’eau viendra à manquer… mais, je ne me suis pas présenté, mon nom est Evangelista Rudori, chimiste à la retraite, pour vous servir ! Et d’ailleurs, mes mains avaient déjà dû me trahir, elles sont rongées par les acides.
— Moi, c’est Jean Tocqueville, dit le journaliste impressionné par cet homme qui inspirait un profond respect. Mais je n’ai aucune parenté avec l’homme politique , historien et grand admirateur de Montesquieu !
— Enchanté, mon jeune ami… Installez-vous confortablement et remontons le temps ! C’est une histoire bien curieuse que celle de ce chien, ce labrador du nom de Pacha !

« Tout commence en Orient. Un homme du nom d’Ali Mosta quitte son pays dans une curieuse embarcation, sans doute une felouque égyptienne. Après avoir traversé la Méditerranée d’est en ouest, il passe le détroit de Gibraltar et contourne l’Espagne. Certains prétendent l’apercevoir à Madrid, mais rien n’est moins sûr. Il réapparaît ensuite à Pise où il rencontre la jeune fille qui va devenir son épouse et de leur union naît une petite fille qu’ils prénomment Assia.
 
Ce livre est édité par - Alain Daumont
76 pages couleurs — Format : 21 x 29,7 cm
En vente sur Internet - Paiement sécurisé avec PayPal
Édition papier reliée : 36 €
ISBN 978-2-9171-0571-9
+ frais de port


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