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9e séance
   
     
     
 

 
Dans les films marquants qui méritent plusieurs détours, mon préféré est sûrement « La Nuit du Chasseur » (The Night of the Hunter) de Charles Laughton, de 1955, avec Robert Mitchum et Shelley Winter, d’après le roman de David Grubb. C’est l’un des films les plus étranges du cinéma américain. Œuvre unique de l’acteur Charles Laughton, ce film, sorte de policier à contre-courant, échappe aux canons du récit hollywoodien de l’époque et ne se plie à aucun genre particulier. Il est de la trempe des films de Griffith. Un vrai film-culte pour ciné-club. Vous aurez compris qu’à sa sortie en salle il n’eut qu’un tout petit succès ! Harry Powell (Robert Mitchum) est un criminel psychopathe qui partage sa cellule avec Ben Harper (Peter Graves), un condamné pour vol et meurtre qui sera pendu sans avoir révélé la cachette de son butin. Seuls les enfants de Ben Harper, John (Billy Chapin) et sa sœur Pearl (Sally Jane Bruce) savent que les dix mille dollars sont cachés dans la poupée de la fillette. Alors commence la traque d’Harry Powell/Robert Mitchum que son jeu subtil rend magnifique dans un rôle de prédicateur des plus crédibles. Un beau rôle de prédateur ! La police finira par arrêter Harry et les enfants seront délivrés de leur secret.

Un film français également décalé qui mérite un détour : « Le Vieux Fusil » de Robert Enrico, de 1975 – trois César la même année et le César des César en 1985 – avec Philippe Noiret, Romy Schneider et Jean Bouise (comédien discret, superbe d’efficacité au cinéma). L’action se passe à Montauban en 1944, presque un huis clos dans le château familial du chirurgien Julien Dandieu (Philippe Noiret). La première scène côtoie l’horreur, le film s’inspire du massacre d’Oradour sur Glane, je la passe volontairement sous silence. Grâce au chirurgien Dandieu, la traque peut commencer. Vengeance expiatoire d’un homme ivre de douleur avec, pour seul compagnon, un fusil à chevrotines et, en toile de fond, un château avec des pièges redoutables. Une véritable forteresse médiévale surplombant une vallée !

Mais changeons de sujet avec Hitchcock. Personnellement, ma notation se module selon les films mais certains sont de véritables chefs d’œuvres. Dans la période anglaise, « Les 39 Marches » de 1935, avec Robert Donat, Madeleine Carrol, Lucie Marinheim, d’après le roman de John Buchan est l’un d’eux. Richard Hannay (Robert Donat) héberge une jeune femme dans son appartement londonien, ignorant, bien entendu, qu’elle est agent secret et en lutte contre une mystérieuse organisation. Elle sera assassinée dans la nuit et aura juste le temps de lui révéler le nom du village écossais où siège ladite organisation ! Traques à répétitions et angoisse garanties !

Toujours dans le registre de l’étrange : « Les 4 Cavaliers de l’Apocalypse » de Vincente Minnelli, de 1961, avec Glenn Ford, Charles Boyer, Ingrid Thulin et Lee. J. Cobb. En Argentine, en 1938, l’histoire d’une famille déracinée après la mort du vieux Madariaga (Lee. J. Cobb). Ils se retrouvent à Paris sous l’occupation, troquant une Argentine en mutation pour une France en désordre. Il y en a qui ont vraiment la poisse ! Lutte à l’intérieur et à l’extérieur : les personnages s’entre-dévorent pendant que la France est occupée par les nazis. On n’est pas sans penser à Scola ou Pasolini !

Je terminerai par « Key Largo » de John Huston, de 1948, avec Humphrey Bogart, Edward G. Robinson et Lauren Bacall, un huis clos l’ambiance sulfureuse où les personnages s’épient et se guettent pour voir qui fera le premier faux pas. Le film est tiré de la pièce de Maxwell Anderson. Frank McCloud (Humphrey Bogart), héros de la seconde guerre mondiale, un peu mégalomane, rend visite à la veuve d’un de ses compagnons d’armes, Nora (Lauren Bacall). Elle tient avec son père un hôtel perdu sur l’île de Key Largo, en Floride. Ce sera le siège de l’épais malaise qui imbibe tout le film, le rendant par moments statique. Rien de particulier jusqu’à l’arrivée du gangster Johnny Rocco (Edward. G. Robinson) et également d’un ouragan qui va isoler l’île pour plusieurs heures. Le pourrissement de la situation ira crescendo. On attendait beaucoup de Bogart et le décalage vient de là, il restera étrangement indifférent. Une attitude identique à celle qu’auront, au retour du Vietnam, quelques années plus tard, les vétérans qui ne trouvaient plus leur place.

Alors pour ne pas nous endormir là-dessus, je vous conseillerai un film de 1987, totalement déglingué : « Who’s that Girl ? » , une comédie de James Foley avec Madona, Griffin Dunne et Haviland Morris. Le titre du film est celui de la chanson de Madonna, elle incarne un personnage excentrique (on avait l’habitude !). Si ça ne vous fait pas de bien, ça ne vous fera pas de mal ! Sur ce… je vous souhaite une bonne nuit !
 

 
       
   
   
10e séance
   
             
 

 
La Grande illusion - 1937

Souvent les films de guerre sont d’une pauvreté étonnante. Peut-être parce que les armes remplacent le scénario. Il n’en est rien avec « La grande Illusion » de Charles Spaak et Jean Renoir et sa troïka de grands acteurs : Pierre Fresnay (le capitaine de Boëldieu), Jean Gabin (le lieutenant Maréchal) et Eric von Stroheim (le capitaine von Rauffenstein). Outre ces grandes pointures, il ne faut pas oublier Marcel Dalio (Rosenthal), Julien Carette (l’acteur), Dita Parlo (Elsa), Jean Dastré (l’instituteur), Georges Reclet (un officier) et Jacques Becker (un soldat anglais). Ce film obtiendra le prix du jury international du meilleur film artistique à Venise ainsi que le prix du meilleur film étranger décerné par la critique américaine ! Lorsque l’on songe au blocus que les Américains font aux films qui ne sortent pas de leurs studios, celui-là doit vraiment être un chef d’œuvre !

L’argument : pendant la première guerre mondiale, dans un camp de prisonniers à la frontière franco-allemande, une tentative de rapprochement entre des hommes ennemis de circonstance.
Dans le camp, la vie s’organise tant bien que mal et ces hommes de toutes origines vont former un bloc de résistance avec en parallèle la confrontation de deux officiers ennemis, aristocrates, et nostalgiques d’une époque épique qui n’est assurément plus la leur. Deux prisonniers français s’évaderont et gagneront la Suisse grâce à l’aide d’une paysanne amoureuse de l’un d’eux. Le rapport entre les deux officiers rend le film marginal. Lentement, ils vont apprendre à s’apprécier mais surtout à se respecter, évoquant le déclin de leurs aristocraties respectives et… l’absence de respect de cette époque pour les hommes de guerre ! Mais existe-t-il un intérêt à la guerre ? C’est un huis clos étouffant avec des dialogues d’une rare beauté et également, d’une rare efficacité ! C’est presque du théâtre. Une grande réussite.

En 1937, le film sera amputé de dix-huit minutes par la censure qui y voyait une entreprise de démoralisation ! Les choses iront plus loin car à l’aube de la seconde guerre mondiale, cette œuvre idéaliste, quelque peu pacifiste, sera perçue comme une mise en garde qui ne sera d’ailleurs pas comprise puisque celle de 39 avait encore de beaux jours devant elle. Jean Renoir donnera tout son talent à la magistrale étude de caractère de ses personnages. Le stalag est un révélateur de l’âme humaine. L’étude des différentes couches sociales est suractivée par le confinement et l’insupportable promiscuité. Jean Gabin, égal à lui-même, nous donne un moment fort comme dans « Pépé le Moko » ; Maréchal correspond au français moyen de l’époque, pétri de bon sens, grande gueule au patriotisme indéfectible, et Rosenthal donne une version idéaliste de l’assimilation réussie de la communauté juive au sein de la société française. L’histoire, malheureusement démontrera le contraire, le IIIe Reich nazi professait un antisémitisme endémique et barbare. Le personnage le plus touchant est sans doute Boëldieu, imprégné de romantisme, lucide, conscient que son aristocratie est déliquescente, qui ne peut se reconnaître dans un monde où l’honneur est tombé en désuétude.

Dans l’œuvre de Renoir, qui ne se pose jamais en donneur de leçons, ce film est à part. Son truc à lui, c’est plutôt un savant jeu de massacre dont personne ne sort indemne, comme dans « La règle du jeu ».

En 1958, « La grande Illusion » sera classée parmi les douze meilleurs films au monde. Le titre résume parfaitement le film : l’homme qui pense, l’homme qui interroge et s’interroge, l’homme d’honneur ; tous ces types d’homme sont autant de Sésame, ouvre-toi. Pas étonnant que la censure ait sévi …

Je vous quitte, ce soir, avec en filigrane, la silhouette d’Eric von Stroheim et sa minerve. Quel sacré bonhomme !
 

 
   
   
   
Entracte 5
   
             
      James Cagney 1899 - 1986      
 

 

 
J’ai toujours aimé le cinéma noir américain. Que ce soit celui d’avant ou d’après la seconde guerre mondiale. Ainsi que les acteurs de cette époque, comme James Cagney. Cagney est une légende, sa filmographie est impressionnante d’autant qu’un quart de ses rôles vont aux films de gangsters. Il débute avec le sonore et sans sa voix, on perdrait tout le charme de son débit haché, un staccato qui s’essouffle par moments. On peut dire que sa vitalité lui aura permis de nager dans les eaux salines des requins du cinéma !

Il est né à New York en 1899 dans un milieu modeste imprégné de tradition irlandaise et entre dans la vie active dès l’âge de 14 ans ; on ne compte plus ses petits boulots. Il aborde le spectacle comme décorateur de théâtre et monte pour la première fois sur une scène en 1919. Après six ans de cabaret avec sa femme Frances, il décroche ses deux premiers rôles marquants en 1930 avec « Outside Looking in » et « Penny Arcade ». Là, commence sa tumultueuse association avec la Warner Bros – à souligner que son caractère cabochard et agressif ne facilitait pas les choses, d’autant qu’il faisait de sa virilité une profession de foi.
Il incarnera toute sa vie les classes laborieuses ; né de la dépression, il lui doit ses turbulences. Il tournera dans des films durs dont il essaiera toute sa vie de s’affranchir. En 1935, il rompt avec la Warner. Il signe un nouveau contrat avec le Grand National ou il tournera dans un film critiquant le star-system « Something to sing about ».

C’est dans « Les Anges aux figures sales » qu’il a le rôle de gangster que je préfère, un face à face entre deux amis dont l’un est devenu prêtre et l’autre gangster. Puis, « À chaque aube je meurs » défendra les vertus de la presse des années 30. En 1942, « La Glorieuse Parade » marque un tournant dans sa vie. Ce film, une évocation spectaculaire d’une des figures du music-hall américain, George M. Cohan, un rôle à sa mesure de bête de scène, sera récompensé par un oscar.

Les choses se gâtent lorsqu’il organise sa propre production avec son frère, ce sera un échec total. Malgré cela, il réussit à faire passer son message humanitaire en toute indépendance. Il sera pendant ce cours laps de temps « Johnny le vagabond », clochard poète et bon samaritain dans un univers allégorique qui le satisfait pleinement. Il pourra ainsi parler librement des forces de la corruption et des vertus de l’Amérique. En 1949, il retournera à la Warner pour « L’enfer est à lui ». Ce film est le sommet des films du genre.

Ensuite, les personnages deviennent sans vie, sans discours sociologique, murés dans leur solitude. Cagney, jadis démocrate, ira vers une position plus conservatrice comme dans « Le Fauve en Liberté », l'adaptation d’un roman d'Horace McCoy. Sa dernière apparition « A Lion is in the streets » parle d’un leader populiste sans grande envergure. La vitalité de Cagney des années 30 prend une tournure amère. À cause de son intransigeance, il perdra l’appui de sa famille et de ses amis ; une composante que Billy Wilder utilisera en 1960 dans « Un, deux, trois »... satire décapante !

Ensuite, il ne tournera pas pendant 20 ans. Il manquait un dernier tour de piste dans sa carrière, ce sera malheureusementpour pour interpréter un préfet de police sans grand intérêt dans « Ragtime ».

On pourrait résumer la vie de James Cagney par le titre d’un de ses films : « À deux pas de l’enfer ». Il n’en reste pas moins un personnage attachant du cinéma américain. Il me fait penser à Arthur Rimbaud : Je voulais être un homme ordinaire ! mais toute sa vie, il serra les poings comme dans ses films.

Il décédera à Stanfordville en 1986.
 

 
       
   
   
11e séance
   
             
 

 
L’Atalante – 1934

Dans le cinéma français, s’il est un film à part – peut-être parce qu’il est imbibé d’un romantisme au quotidien – c’est bien cette comédie dramatique de Jean Vigo. On y retrouve dans les rôles principaux : Michel Simon (le père Jules), Jean Dasté (Jean), Dita Parlo (Juliette), Gilles Margautis (le camelot), Louis Lefebvre (le mousse). La version intégrale de ce film que l’on peut définir de campagnard fut coupée à sa sortie car le sujet déplaisait à la censure. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’il fut reconstitué.

L’argument : À peine la cérémonie de leur mariage terminée, Jean et Juliette, un marinier et une fille de paysans, embarque à bord de l’Atalante, une péniche comme il en existait beaucoup à une époque où le fret – sable et matériaux de construction – était acheminée en grande partie par les canaux. L’équipage est réduit à un vieux loup de mer qui connaît tous les océans et à un mousse.
Un récit aux antipodes de « Le drapeau noir flotte sur la marmite », avec Jean Gabin, un marin qui n’a jamais navigué que dans sa tête. Il n’y a sur l’Atalante que trois protagonistes : le père Jules, le moussaillon et la jeune épousée qui rêve de Paris, la ville magique. La belle ne se fera pas à la monotonie de la vie à bord et elle s’enfuira en laissant un mari déconcerté, inattentif à son travail et risquant de se faire renvoyer ; le spectre du chômage ne date pas d’hier. Le père Jules qui n’a pas l’intention de laisser cette situation se dégrader part rechercher la « patronne » – comme il sait si bien le dire. Il la retrouve en train d’écouter la chanson des mariniers et la ramène à bord et l’Atalante qui peut ainsi continuer sa route !

Avant « L’Atalante », trois petits films pleins de verve avaient fait connaître Jean Vigo : « À propos de Nice », « Taris » et « Zéro de conduite ». Ce dernier est une évocation de la routine d’un lycée-caserne, parsemée de notes autobiographiques, qui avait été interdit par la censure. À noter que Vigo était le fils de l'anarchiste Eugène-Bonaventure de Vigo, plus connu sous le nom de Miguel de Almereyda et on pourra comprendre que cette filiation marqua sa scolarité de conséquences. Malgré cela, le producteur acceptera « L’Atalante » et l’unique long métrage de Vigo verra le jour.
Le personnage du père Jules est de la trempe des personnages de Céline ou de Cendrars. L’exactitude des scènes du quotidien – la guinguette, le vol du sac à main – en font une prouesse d’équilibre entre le drame visuel et le rire. Malgré la rudesse de la vie des mariniers que Vigo nous décrit, le film reste féerique ! Elie Faure dira de ce film à sa sortie qu’il était tourmenté, fiévreux, regorgeant d’idées et de fantaisie truculente, d’un romantisme virulent bien que constamment humain. Pour l’anecdote, c’était l’un des films préférés de François Truffaut.

Homme à la santé délicate, au lyrisme d’un écorché vif, Vigo mourut à l’âge de 29 ans d’une septicémie et son destin me fait également penser à celui de Rimbaud, une œuvre achevée avant l’heure. Qui peut dire combien de chefs-d'œuvre il aurait réalisé si la faucheuse n’avait pas frappé ! Vigo ne mourut pas au champ d’honneur mais quelques jours avant la sortie de « L’Atalante », à temps, oserait-on dire, car le film sortit coupé, avec pour fond sonore une mélodie misérabiliste chantée par Lys Gauty : « Le chaland qui passe ». Il faudra attendre 1950 pour que ce bijou du cinéma français soit rendu à sa splendeur originelle.

Même s’il se dégage une grande tristesse de la vie de Jean Vigo, j’aime ces maîtres qui ne se sont pas attardés, laissant une trace puissante et revigorante.
 

 
   
   
   
12e séance
   
             
 





 
Si je devais écrire ma biographie, je la commencerais ainsi : « Je suis né au milieu des chiffons et des femmes. » Ma mère était couturière, une grande couturière. Mon enfance baigna dans le lin, la soie, la moire, l’astrakan, le vison et tant d’autres belles choses. Peut-être est-ce pour cela que mon rapport aux femmes est à l’opposé de celui d’un Guitry ou d’un Montherlant ! À cette époque, il n’y avait pas de jeunes filles en fleurs… juste des arpettes et des femmes d’âge mûr. Alors, pas étonnant que j’aime les films en costumes !

On festoie en ce mois de mai 1485, dans le premier de ceux que j’évoquerai ici, au château du baron Hugues qui marie sa fille Anne au chevalier Renaud. Mais cela est trop harmonieux pour le diable... qui n’aime pas voir les gens heureux. Alors, comme on s’ennuie ferme en enfer, il envoie Gilles et Dominique pour séduire les mariés, et semer le chaos sur terre. Mais il n’a pas prévu, le Diable, que ses créatures tomberaient amoureuses de leurs victimes. Que lui reste-t-il à faire ? Quitter l’enfer pour venir remettre de l’ordre lui-même sur terre !
Pas étonnant que le scénario soit de Prévert, sa poésie transpire à travers les personnages. L’amour doit régner et vaincre alors, pour permettre aux héros de se retrouver, le temps suspend son vol et le bal se fige. Une scène splendide, sûrement la plus belle. Vous aurez reconnu « Les visiteurs du soir » de Marcel Carné, tourné en pleine guerre, en 1942, avec Arletty, Alain Cuny, Marie Déa, Marcel Herrand, Fernand Ledoux dans le rôle du baron Hugues et Jules Berry dans celui du diable. Arletty et Cuny nous offrent un superbe moment de cinéma. Pour la petite histoire, Cuny qui sera toujours un marginal ne s’en cachera jamais dans ses interviews. Les lignes des costumes sont simples et épurées mais costumes ou pas, ce film mérite un détour !

Je me dois de citer la comédie musicale « La veuve joyeuse » de Curtis Bernhardt, de 1952, mais exclusivement pour Lana Turner car de toutes les versions de cette opérette qui ont été mises en scène pour le cinéma, ma préférence va à cellede 1934, de Lubitsch (qui elle, est en noir et blanc) avec Maurice Chevalier et Jeanne MacDonald dans le rôle de la veuve joyeuse.
Dans la version de 52, Lana Turner joue le rôle de cette veuve qui décide d’aller mener grande vie à Paris, se faisant passer pour une entraîneuse, chez Maxim’s. Elle sera remise dans le droit chemin par Fernandos Lamas, lui-même pris au piège de sa propre machination. Dommage que dans cette version la partition musicale de Franz Lehár ait été réduite à une vingtaine de minutes ! Il n’en reste pas moins que les costumes sont à la hauteur des attentes d’un tel cadre.

Parmi les metteurs en scène qui font de l’esthétisme une priorité, James Ivory figure dans les premiers. Je pense à « Chambre avec vue » de 1985, avec Daniel Day Lewis, Helena Bonham Carter, Julian Sands et Maggie Smith. Quiproquos et grand amour naissent d’un échange de chambre… le tout sur fond social et avec vue sur l’Arno. Un voyage en Italie qu’une jeune Anglaise victorienne n’est pas près d’oublier. Des « Vestiges du jour » à « Jefferson à Paris », dans les films de James Ivory, décors et costumes touchent à la perfection. On ne pourrait lui reprocher que des descriptions de vie un peu statiques !

L’époque romaine et ses péplums affichent des couleurs brutales avec ses costumes ! Je pense à « La Tunique » de 1953, d’Henry Koster, avec Richard Burton (Marcellus), Jean Simmons (Diana), Victor Mature (Démétrius) et Jay Robinson (Caligula). Parce que le jeune tribun romain Marcellus se voit dans l’obligation d’assister à l’exécution de Jésus et qu’au cours d’une partie de dés, il gagne la tunique que le Christ portait sur la croix, sa vie va être bouleversée. Il se convertira au christianisme et mourra en martyr. Un récit hautement symbolique agrémenté des poncifs du cinéma américain. Pour la petite histoire, ce film est le premier à avoir été tourné en cinémascope. Quant à la vérité historique, difficile de s’y retrouver. Le film s’inspire de « Quo Vadis » réalisé deux ans plus tôt. De la même époque « Les Gladiateurs » de Delmers Daves ont le mérite de retracer le réalisme sauvage des arènes romaines.

Toujours pour les costumes, je reverrais bien « Les trois mousquetaires ». On n’en compte plus les versions. Celle d’Henri Diamant-Berger, de 1932, avec Aimé Simon, Gérard Henri Rollan, Blanche Montel et Edith Mera durait deux heures seize et faisait l’objet de deux séances. Fred Niblo en 1921, George Sidney en 1948, André Hunebelle en 1953, Richard Lester en 1973, Stephen Herek en 1993, ont chacun tourné la leur mais ma préférée reste celle de 1961, de Bernard Borderie, sans doute à cause de Mylène Demongeot...

S’il est un film, en cuirasse pour tout vêtement, qui laisse un malaise profond, c’est bien « Aguirre, la colère de Dieu » de Werner Herzog, de 1972, avec Klaus Kinski, comédien exceptionnel mais, du point de vue de ceux qui l’ont fréquenté, aussi désagréable dans son rôle que dans la vie, célèbre pour ses colères et ses coups de gueule. Le film se résume par ces simples mots : de l’homme à la folie ! Werner Herzog est le cinéaste du romantisme allemand renouvelé et, quand on sait que ce metteur en scène prend quatre-vingt-dix pour cent de risques sur les tournages, on peut aisément imaginer que le tandem Herzog/Kinski n’a pas du manquer de piquant !

Je ne peux pas finir sur des costumes entachés de sang et de boue, je vais donc me tourner vers le film fleur bleue par excellence qui ne peut faire de mal à personne. « Sissi  » de 1955 d’Ernst Marischka, avec Romy Schneider, Karl Heinz Böhm, Magda Schneider (sa mère dans la vie) et Uta Franz. Lors d’une fête donnée à la cour impériale de Vienne, un amour va naître entre la fille du roi de Bavière, la princesse Sissi et le jeune empereur François Joseph. Non content de nous avoir fait valser, le metteur en scène récidivera en 1956 avec « Sissi impératrice » et en 1957 avec « Sissi face à son destin ». Le couple sera presque heureux et un bout de choux naîtra. Que demande le peuple ! Lorsque le film passait en province, je vous assure qu’il fallait réserver. Le moins que je puisse noter, c’est que la vie d’errance de l’impératrice Elisabeth n’est pas retracée dans cette trilogie. Mais par principe, il faut voir tous les films avec Romy Schneider. Dommage qu’elle n’ait choisi ensuite que des rôles misérabilistes. Elle était belle, fragile, avec la voix d’un ange… tout ce qu’il ne faut pas être dans un monde de prédateurs.

 







 
 

   

 
   
   
Entracte 6
   
             
      Arletty 1898-1992      
 

 
S’il fallait donner un qualificatif à Arletty, ce serait : inimitable ! Une gouaille naturelle, une présence attachante, on avait vite fait de se laisser prendre dans ses filets. Une exception dans le cinéma français. Elle vint au septième art lentement, sans aucune certitude, comme poussée par les chalands. Elle était belle avec une certaine gravité dans le regard, royale dans tous ses rôles. L’esprit vif, tour à tour calme ou moqueuse, nimbée d’une grande poésie, mais toujours avec ce maintient inoubliable. Dommage qu’elle fut souvent confinée dans les mêmes stéréotypes. Arletty, c’est Paris en toile de fond, la gare de l’Est, le grand escalier de pierre qui rejoint la gare du Nord et surtout, le fameux canal Saint-Martin !

Arletty – Léonie Bathiat – naît à Courbevoie le 15 mai 1898. Une enfance heureuse, coupée de séjours en Auvergne. Premier choc en 1914, son amoureux meurt à la guerre ; il avait les yeux si bleus qu’on l’appelait Ciel. Elle décide de ne jamais se marier et de ne pas avoir d’enfants pour n’être ni veuve de guerre ni mère de soldat. Elle ne manquera pas à sa parole. Second choc en 1916 à la mort de son père. Elle se retrouve seule avec sa mère, tourneuse d’obus, c’est à cette époque qu’elle devient dactylo puis mannequin.

Paul Guillaume, le marchand d’art qu’elle rencontre par hasard, lui ouvre les portes du théâtre avec deux recommandations : l’une pour l’Odéon, l’autre pour les Capucines ; elle choisit le théâtre des Capucines, considéré à l’époque plus mondain. C’est son directeur, Armand Berthez, qui lui trouvera son nom de scène. Elle traverse avec plus ou moins de bonheur les années folles, joue dans ces revues aux couplets irrévérencieux qui passent au crible l’actualité politique et scandaleuse et se hasarde aussi au cabaret. En 1928, elle s’épanouit dans l’opérette avec « Yes » de Maurice Yvain puis « Azor » en 1932 et « Un soir de réveillon » de Raoul Moretti. Suivra « Ô mon bel inconnu » de Reynaldo Hahn et en 1934 « Le bonheur, mesdames ! » de Christiné. Colette décrira son regard chaviré et sa séduction directe !

Elle débute au cinéma en 1930 dans « La douceur d’aimer » de René Hervil et récidive en 1931 dans « Un chien qui rapporte » de Jean Choux (un véritable navet !). Tout prend forme à partir de 1936 quand l’auteur Édouard Bourdet l’associe à Victor Boucher et Michel Simon dans sa pièce de théâtre « Fric-Frac » et c’est là que le triomphe arrive. Comique de truands et argot inoubliable à usage des gens du monde. En 1939, Fernandel remplace Victor Boucher pour l’adaptation cinématographique de Maurice Lehman et Claude Autant-Lara où elle sera sublime de malice et d’autorité. Guitry, qui ne s’entourait pas de n’importe qui, l’intègre au prologue de « Faisons un rêve » en 1937, il ira même jusqu’à la noircir pour le rôle de la reine d’Éthiopie dans « Les perles de la couronne » en 1937 ! La même année, elle sera une soubrette dans « Désiré ».
Elle n’oubliera jamais le théâtre. Avec Cocteau, ce sera « L’école des veuves », avec Guitry « Crions-le sur les toits », sa présence remplira l’ABC et le théâtre de la Madeleine.

C’est sur le plateau de « Pension mimosas » en 1934 qu’elle rencontre Marcel Carné alors qu’il est l’assistant de Feyder. En 1938, il lui propose un chef d’œuvre : « Hôtel du Nord » sur des dialogues d’Henri Jeanson. Avec cette réplique : « Atmosphère, atmosphère… Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? », le duo Arletty/Jouvet fera le tour du monde. C'est également de ce film est tiré cette expression succulente : « Pas folle la guêpe ! »

Vient ensuite, en 1939, le film de Jean Boyer « Circonstances atténuantes » dans lequel Arletty fredonne, sur un air de java : « Comme de bien entendu » Je l’entends encore ! Elle chantera aussi dans « Tempête » de Bernard Deschamps en 1940. Suivra un grand film, triste à souhait, « Le jour se lève » de Carné en 1939 et « Madame sans gêne » de Roger Richebé en 1941. Une seule personne l’égalera plus tard dans ce rôle, ce sera Jacqueline Mailland.

Puis ce sera un personnage androgyne dans « Les visiteurs du soir » en 1942 et elle sera l’inoubliable Garance dans : « Les Enfants du Paradis » en 1944. Un chef d’œuvre du cinéma français !

La période trouble de l’occupation et sa fréquentation d’un haut gradé de l’armée allemande l’associent à la fine fleur de la collaboration et annoncent les prémices du déclin de sa carrière. Les nuages s’amoncellent à la Libération, ce sera la prison. Elle aura cette phrase décapante : « Mon cœur est français, mon cul est international ! » Elle accepte tout sans broncher mais son aventure aura malgré tout des retombés sur sa carrière même si Prévert et Carné lui restent fidèles. Sa pénitence achevée, elle revient au théâtre avec « Un tramway nommé désir » en 1949, puis dans « La descente d’Orphée » en 1959, « Un otage » en 1962 et la reprise de « Les monstres sacrés » en 1966. Le cinéma la délaisse. Elle avait été émouvante dans « L’air de Paris » de Carné en 1954, elle fut irrésistible dans « Maxime » de Verneuil en 1958. Ces derniers films annoncent son crépuscule, la nuit s’abat sur ses yeux... Elle aura quitté la pleine lumière de la gloire pour l’obscurité. Elle s’éteint à Paris, le 23 juillet 1992.

Pour moi, elle restera un Sphinx aux foudroyants éclats de rire... Il y a dans le ciel une étoile de plus !

 

 
       
   
     
suite…
 
 



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