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21e séance
   
     
Les années 90
     
 











 
Il est vrai qu’après 1990, le cinéma ne m’intéresse plus beaucoup. Trop de violence gratuite, d’hémoglobine à flot, et des effets spéciaux souvent contestables reléguant le spectateur au rang d’enfant arriéré en mal d’explications. La technique de cette décennie pouvant se résume à un cinéma truffé d’images à peine lisibles, et à des plans si accélérés qu’ils échappent à la perception du spectateur envoyé comme une boule de billard là où l’on veut qu’il aille. Et le pire, c’est qu’il n’en est pas conscient (pour exemple les images subliminales). Autre exemple, la caméra changeant trop rapidement de place et de perspective. Pour bien observer certaines scènes, il faut recourir au magnétoscope et faire des arrêts sur images. On peut dire que cet engin est l’avenir du cinéphile qui permet aussi de revoir des œuvres tombées en désuétude. Un cinéaste comme David Fincher demande que l’on regarde ses films 4 à 5 fois ! Jouvet, si attaché aux dialogues, aurait détesté ce cinéma. Les productions hollywoodiennes sophistiquées sont réalisées avec l’objectif d’être vue, une fois sur grand écran, et plusieurs fois chez soi. On peut dire aujourd’hui que la plupart des films demanderaient trois premières : projection en salle, projection cassette vidéo, diffusion sur petit écran. Le rapprochement : télévision/cinéma était inévitable d’ailleurs, certains téléfilms comme « Mission impossible » ont donné des adaptations pour le cinéma ; il n’y a plus de frontières hermétiques entre les deux médias. Deux exemples d’acteurs : Helen Hunt et George Clooney deviennent des stars à Hollywood après avoir été des stars de séries télévisées populaires. Aujourd’hui, on fabrique des téléviseurs dont les écrans 16/9e correspondent au format du grand écran. C’est la transmission numérique du son qui a ouvert une nouvelle ère cinématographique. Par contre, il y a une question humaine que nous devrions tous nous poser : faut-il prendre au sérieux une lettre d’amour qui nous arrive sous forme de message électronique ? Sommes-nous devenus des robots sans nous en être rendu compte ? On est loin de Lubitsch qui laissait au public ses facultés d’appréciation. Nous sommes dans le mensonge de masse, pas étonnant si les politiques s’en soient emparés. Je ne prendrais qu’un seul exemple, JFK, gratifié du commentaire de George Bush, chef de la CIA de 1976 à 1977 : « Je ne sais pas grand-chose du film, je ne l’ai pas vu. Il existe des conspirations sur tout, il y a aussi des rumeurs selon lesquelles Elvis Presley serait encore vivant. » Signé Bush ! Édifiant non ?...
On considère que le cinéma des années 90 est un cinéma de citations, les réalisateurs se plaisent à exhiber leurs connaissances cinématographiques. En 1987, à la fin des « Incorruptibles », le réalisateur américain fait allusion à la fameuse scène du cuirassé Potemkine de 1925 dans laquelle une voiture d’enfant dévale les escaliers. Pour résumer, de tout temps, seuls les bons films ont donné envie d’aller au cinéma. J’espère seulement que l’avenir du spectateur ne passe pas par cet espagnol : Don Quichotte de la Manche, qui lisait trop de romans et finit par se prendre pour un hidalgo et se battre contre les moulins à vent.
Je dois cependant admettre que les années 90 ont produit quelques petites merveilles. Passons aux choses sérieuses comme le très bon film d’Oliver Stone de 1991 : « JFK » ou comment deux hommes peuvent être touchés plusieurs fois par le même projectile. Un seul homme, piètre tireur de surcroît, est-il capable de tuer de loin un homme dans une voiture qui roule et en plus, avec un mauvais fusil et une mauvaise visibilité. Jim Garisson (Kevin Costner) procureur de la Nouvelle-Orléans affirmera que non, c’est impossible. Cette nouvelle dérangeante implique le fait que Lee Harvey Oswald n’a pas tué seul le président Kennedy. Pour beaucoup d’Américains, ce film restera un film de propagande…
Dans le genre « film qui ne fâche pas » style cinéma-vérité chez les SDF : « Les Amants du pont Neuf », de Léos Carax en 1991. Une histoire d’amour entre deux marginaux avec qui la vie n’a pas été tendre. Michèle (Juliette Binoche) peintre et presque aveugle a toujours un révolver dans sa boite à couleurs s’éprend d’Alex (Denis Lavant), une espèce d’hyperactif asocial cracheur de feu et toujours défoncé. Ajoutons à cela un vieux clochard et l’on a un film talentueux et… misérabiliste. Bonjour Zola ! Léos Carax n’a pas lésiné sur les moyens, le Pont-Neuf a été reconstruit, presque grandeur nature avec quelques façades de maisons le long de la Seine, dont celle de la Samaritaine, à proximité de Montpellier. Fatalité ? Le mauvais œil s’est acharné sur le tournage : mort du producteur, rupture sentimentale entre Carax et Juliette Binoche, il a fallu trois ans pour achever le film. C’est le plus cher du cinéma français : 160 millions de francs. Un film unique, avec des personnages blessés évoquant les mélos d’avant-guerre. Pour l’anecdote, Carax s’inspira du film de Jean Vigo de 1934 : l’Atalante. Certainement, l’un des plus poignants des années 90 reste « La Liste de Schindler » de 1993 de Steven Spielberg dont la grande force a été de montrer l’Holocauste sans tomber dans la banalité des images surexploitées et réchauffées. On y voit l’horreur de la vie de tous les jours dans un camp sous le régime le plus atroce, celui des nazis, des êtres stimulés uniquement par la mort. La morale imprègne ce film, on ne peut décharger ses propres responsabilités sur quelqu’un d’autre. 1939, la Pologne, la construction du ghetto de Cracovie et la population juive qui doit s’inscrire sur des listes. Mais, c’est aussi l’histoire du personnage fort du film, Oskar Schindler (Liam Neesen), aventurier et coureur de jupons. On ne peut éviter son insigne du parti nazi quand il reprend la direction d’une usine pour le compte de la Wehrmacht, les ouvriers juifs revenant moins chers que les Polonais. Mais c’est le comptable, en sous-sol, Itzhak Stern (Ben Kingsley) qui dirige vraiment l’usine, la tâche de Schindler consistant surtout à soudoyer les nazis. Au début du film, s’il fait preuve d’humanité, c’est par intérêt personnel, pour s’enrichir grâce à une stratégie des plus audacieuses, la flatterie. Car il a une influence sur le commandant du camp, un homme sadique qui tire sur les prisonniers par plaisir. Sans en être vraiment conscient, Schindler va prendre le parti des Juifs et sa fortune va passer dans le rachat de ses ouvriers. 1100 personnes passeront ainsi à travers les mailles du filet nazi et l’homme deviendra noble aux yeux des déportés. Il ira même jusqu’à faire fabriquer des pièces inutilisables pour l’armement. À la fin de la guerre, il est complètement ruiné, il s’enfuit en Argentine. Mais le miracle est pour maintenant, car le nombre des descendants de ces ouvriers est maintenant supérieur à la population juive qui vivait jadis en Pologne.
Passons à un thème différent, « La leçon de piano », de Jane Campion en 1993 avec Holly Hunter dans le rôle de Ada McGrath. En 1850, une femme rencontre son destin à l’autre bout du monde, en Nouvelle-Zélande, où elle doit épouser un colon qu’elle n’a jamais vu. L’allégorie du film, c’est le piano d’autant qu’Ada est muette. Le futur mari ne comprend pas, il laisse le piano sur la plage, mais survient un curieux personnage, Georges Baines (Harvey Keitel), tatoué comme les Maoris, qui vit seul, un personnage qui évoque ceux de James Fenimore Cooper, entre deux cultures. Lui seul comprend l’importance du piano pour Ada et le faux Maori gagnera sa confiance en lui faisant récupérer son piano ; en contrepartie, elle lui donnera des leçons et s’en suivront des moments d’érotisme. Ce film est un judicieux mélange de violence, de raffinement, de passion et de retenue.
Je terminerai ces années 90 sur un film superbe aux riches analyses de caractères, « Le Patient Anglais », d’Anthony Minghella en 1996, avec Juliette Binoche (Hana), Kristin Scott Thomas (Katharine Clifton), Ralf Fiennes (le comte Laszlo Almazy). Le sang du film, c’est le désert sur lequel des figures humaines vont prendre forme : un calme troublé par des tirs de DCA, un petit avion s’écrase et prend feu. Le Patient Anglais, c’est une histoire d’amour sur fond de mort omniprésente et platonique. Au départ, l’énigme à cause des brûlures au visage, à la peau et aux poumons, et la perte de mémoire. Ce titre de patient anglais lui est donné parce qu’il est abattu dans un avion anglais par les Allemands. Il ne connaît ni son nom ni sa nationalité ; seul indice, un livre d’Hérodote contenant des cartes, des photographies, des lettres glissées entre les pages. L’infirmière canadienne Hana (Juliette Binoche) reste avec lui en Toscane dans un monastère en ruines. Ces souvenirs reviennent, il est Laszlo Almazy et comte, noble hongrois passionné par le désert et qui a rejoint un groupe de cartographes anglais au Sahara. Mais survient un couple d’Anglais et l’amitié de Laszlo et de Katharine (la femme du couple anglais) va se transformer en une passion qui conduira le mari à essayer de les tuer. Il va mourir, Hana peut montrer ses sentiments… On peut y lire plusieurs niveaux de narration, la guerre et la souffrance, l’amour et une forme de désespoir face à la fatalité. « Le Patient Anglais » trace un point de vue radical sur la guerre et les hommes qui la font, il développe des sentiments romantiques sérieux, dénués d’ironie et renoue avec la grande tradition du cinéma fait d’intelligence et de sensibilité. Il n’y a pas de honte à sortir son mouchoir après une séance de cinéma et sur ce moment fort, je vous souhaite la bonne nuit !
 











 
 

 
   
   
22e séance
   
      Apocalypse now - 1979      
 




Si certains films crucifient, c’est parce que la peur est omniprésente. Pour exemple, j’en citerai trois traitant le même thème et pourtant très différents : « Né un 4 juillet » d’Oliver Stone en 1990, et deux autres de Francis Ford Coppola, décidément obsédé par la guerre du Vietnam, « Garden of stones » en 1987 et (le pire) « Apocalypse now » en 1979. En regardant ce qui s’est passé en Irak, il est facile de comprendre comment basculer dans l’horreur, mais la question en suspens reste bien : « Pourquoi un autre Viêtnam ? » À croire que les terreurs passées n’imprègnent que la conscience universelle, et ne laissent aucune trace dans celle des puissants…
Inspirée par le récit de Joseph Conrad, « Heart of Darkness », la trame d’« Apocalypse now » est simple. En apparence. Le capitaine Willard (Martin Sheen) est chargé d’une mission dont personne ne voudrait : il doit débusquer et tuer le colonel Kurtz (Marlon Brando). Car le colonel Kurtz ne répond plus au contrôle de ses supérieurs, retranché dans la jungle, de l’autre côté de la frontière cambodgienne. Il commande une armée d’autochtones, Sud-vietnamiens ou soldats américains égarés, qui se battent pour leur propre compte. En fait, le Viêtnam proprement dit est bien loin derrière lui, il est au royaume des morts-vivants, il a quitté notre monde pour celui qu’il a créé de toutes pièces et avec ses propres règles. En cela, il nous impose une autre définition du rapport de l’homme face à l’horreur et l’on songe à celui qu’il avait dû être avant de quitter l’Amérique... Ouvrons une parenthèse, Brando est époustouflant dans ce rôle de colonel mégalomane à la limite de la folie, mais c’est un peu simpliste de le limiter à ces qualificatifs. Dans ce film, tout va crescendo... Le capitaine Willard remonte le fleuve à travers la jungle et plus il semble se rapprocher de Kurtz, plus l’horreur de la guerre prend possession de lui et de ses compagnons. Sur fond de ballets incessants d’hélicoptères, et au son de Wagner et des Walkyries, Coppola nous montre l’anéantissement d’un village pour cause de plage aux vagues parfaites. Tout a une fin ! Le voyage de Willard s’achève au royaume des morts, Brando, Bouddha pervers, attend dans l’ombre comme la mygale. Willard devenu malgré lui une partie de Kurtz, on ne sait plus où est le bien, où est le mal. La civilisation n’existe plus, l’essence de l’homme l’a quitté, nous sommes revenus aux origines d’un monde étrange. Le rituel de la mort se met en place, archaïque. Vous finirez par découvrir le noyau sombre de l’homme, celui qui s’expose dans les cas extrêmes, celui de la voie royale de Malraux par exemple. La guerre est une excuse qui fait le lit de l’horreur et de la folie... Un véritable voyage en enfer, aucun film des années 70 n’a cette puissance d’évocation. C’est un moment de pur lyrisme aux frontières d’un nouveau monde dont il vaudrait mieux ne pas connaitre les aboutissants. La réussite de Coppola, c’est d’avoir transformé un film de guerre en tragédie grecque.
La réalisation fut surréaliste. Coppola, en fin stratège, passa un marché avec le président Marcos pour pouvoir tourner aux Philippines. À cette époque, Marcos menait une guerre sans merci aux rebelles communistes, autant de similitudes, qu’elles soient climatiques ou guerrières, avec le Viêtnam. Mais rien ne fut simple. Les hélicoptères quittaient souvent les lieux de tournage pour de réelles interventions militaires. Un typhon dévasta les décors sophistiqués, Martin Sheen eut un infarctus et l’excentrique et obèse Marlon Brando ajouta le piment nécessaire. Le tournage dura quinze mois au lieu de quatre. Ce film est un exploit, on ne releva aucune ingérence du Pentagone qui a l’habitude de mettre son grand nez dans les films de guerre... Spectaculaire. Beaucoup y retrouvèrent un Viêtnam bien réel, celui qu’ils avaient connu...
On sort de ce film déglingué, cloué au fauteuil. On n’ose croire que des hommes aient pu faire de telles horreurs sur ordre. Alors, difficile de vous souhaiter une bonne nuit comme j’ai l’habitude de le faire...

 



 
 
 
   
   
Entracte 11
   
 





 
Michel Simon 1895-1975
 





 
Michel Simon, c’est une gueule comme personne, une voix éraillée, une façon de se tenir, de porter la tête comme les échassiers. Je l’ai croisé lors d’un vernissage, il semblait flâner plutôt que de vraiment s’intéresser. À contre-jour dans un coin de la salle, une petite peinture représentait une horloge. Le peintre l’interpela : « Venez voir, monsieur Simon, a-t-on fait plus fin depuis la renaissance italienne ? » Michel Simon s’approcha, se pencha, regarda et dit simplement : « En effet, je crois bien que les aiguilles ont bougé ! » C’était cela Michel Simon, un humour acide mêlé à une attitude débonnaire.

Il est né à Genève en 1895 et très jeune, il se démarque par son indépendance, abandonne rapidement les études et quitte sa famille. Enfant fugueur, il aime la vie pastorale ; observateur attentif, amoureux de la nature, il possédait une solide culture marginale qui ne l’empêcha pas de puiser son énergie dans les classiques, ce qui peut expliquer la diversité de ses films, souvent entre démesure et tendresse, dixit son dernier film avec Jean Pierre Mocky, « L’ibis rouge », et l’on sait que Mocky ne fait pas dans la dentelle… C’est au sein de la troupe des Pitoëff qu’il fait ses débuts au théâtre, puis il commence sa carrière cinématographique par le muet, en 1925, dans « Feu Mathias Pascal » de Marcel L’Herbier. Son succès est total tant à la scène qu’à l’écran. Il ne refuse ni l’opérette, ni le vaudeville et encore moins le drame. Personne ne peut oublier son rôle de Clo-Clo dans « Jean de la Lune » de Marcel Achard en 1931. C’est un grand portraitiste, jusqu’à la caricature, portant à la comédie humaine un vif intérêt, comme l’avait si bien fait Molière, et quand le succès d’une œuvre à laquelle il tenait n’est pas au rendez-vous, la déception est grande.

Mes films préférés se situent dans la période de 1930 à 1960. Pitoyable caissier dans « La chienne » en 1931 et clochard ébouriffé dans « Boudu sauvé des eaux » en 1932, deux films de Renoir, il incarne de façon magistrale le père Jules, marinier tatoué, dans « L’Atalante » de Jean Vigo en 1934. Son rôle le plus épique reste celui de Molyneux alias Félix Chapel dans « Drôle de drame » de Marcel Carné en 1937. Puis en 1939 viendront « Quai des Brumes » de Marcel Carné et « Fric-Frac » de Claude Autan-Lara, où il sera truculent en Jo les bras coupés. En 1950, on le retrouve dans la peau de Méphistophélès, personnage inquiétant de « La Beauté du Diable » de René Clair et on ne peut passer sous silence sa prestation de braconnier dans « La Poison » de Sacha Guitry en 1951, pas plus que le vieux grognard d’« Austerlitz » d’Abel Gance en 1959, une belle description de la vie de ces pauvres gens qui avaient cru dans l’aigle impérial.

Les vanités du monde le dégoutaient, ce n’est pas le fruit du hasard s’il était qualifié de misanthrope à cause d’attitudes boudeuses et d’éclats de colère. Mais son sens de l’humour le sauvait, un passeport en toute situation. Anarchiste débonnaire à la Brassens, sa conscience relative des codes moraux le conduisait plus près des marginaux que des honnêtes gens ; il préférait le discours des clochards aux littérateurs distingués avec lesquels il s’ennuyait. Intelligence du cœur, esprit vif, vaste culture, il pouvait se permettre de rejeter les critères de la culture académique… ce qui explique, sans doute, que ses personnages les plus attachants soient ceux de l’Atalante ou de Boudu.

Michel Simon a tourné dans plus de cent films ; certains, moins connus, méritent cependant un détour : « Feu Mathias Pascal » de l’Herbier en 1926, « la Passion de Jeanne d’Arc » de Dreyer et « Tire au flan » de Renoir en 1928, « Jean de la Lune » de Jean Choux en 1931, « Le bonheur » de Marcel l’Herbier en 1934, « Le dernier Tournant » de Pierre Chenal en 1939, « La comédie du Bonheur » de Marcel l’Herbier en 1942, « Panique » de Duvivier en 1946, et la très caustique « Vie d’un honnête homme » de Guitry en 1953. Viennent ensuite « L’impossible monsieur Pipelet » de Hunebelle en 1955, « Le Diable et les dix commandements » de Duvivier en 1962, et ce superbe grand-père dans « Le Vieil homme et l’enfant » de Claude Berry en 1966. Son nom figure également au générique d’un film inachevé « Pivoine » d’André Sauvage de 1929. Son goût de l’éclectisme lui fera accepter le rôle d’un… érotologue dans le film de Jérôme Savary : « Le boucher, la star et l’orpheline » en 1975.

Pour résumer, je dirai que Michel Simon, comme le Jo de Fric-Frac, était le rayon de soleil du cinéma français. Un marginal tourné vers les défavorisés, un empêcheur de tourner en rond. Dès qu’un metteur en scène disait : « Action », Michel Simon nous plongeait dans le rêve et le merveilleux. Il est mort à Bry-sur-Marne en 1975.
Adieu, mon prince...
 
   
   
   
23e séance
   
 



 
Le cercle des poètes disparus 1988-1989




 
J’ai eu un prof de philo, devenue une amie très chère pendant de longues années, qui aurait adoré ce film, elle qui prenait le contre-pied de tout ce qui paraissait suspect, ce qui pouvait être une insulte à l’intelligence. La pauvre aurait été bien malheureuse si elle avait dû enseigner dans la respectable académie Welton, un endroit où les feuilles ne doivent tomber qu’à l’automne. Ah ! les principes d’éducation british qui ont fait les grandes heures du colonialisme... On connait la suite. Pour ne pas risquer de me fâcher avec la terre entière, je la passerai sous silence.

L’action se situe entre l’ère McCarthy et la révolte des étudiants, on ne peut pas dire que ce soit la meilleure époque… En 1959, les élèves portent haut les couleurs des blasons de l’académie Welton que l’on pourrait résumer ainsi : tradition, discipline, honneur (ne pas trop insister sur ce sujet trop sensible), excellence. Parfait ! si cela n’aboutissait souvent aux excès contraires. Souvenons-nous de Paracelse qui disait : « Tout est bon, rien n’est bon, seule la mesure compte. » Mais sous la forme d’un professeur d’anglais M. Keating (Robin William), un gros lutin va mettre la pagaille. Sa devise: « La vie est courte, ne perdons pas de temps » (carpe diem), c’est ainsi que le cours d’anglais prend ses marques. Un vent nouveau souffle et l’académie s’enrhume. Enseigner à ses élèves que la poésie est vivante, c’est donner un bâton pour recevoir des coups. Et y prendre du plaisir, c’est franchement masochiste. Du haut de l’Olympe, tombent, tour à tour, des poètes comme Walt Whitman, Henry David Thoreau et même le dépoussiéré William Shakespeare. Pauvre professeur qui montre à ses élèves que la poésie n’est pas coupée de la vie. Que de désordre ! Penser par soi-même, quel crime odieux ! La situation va se gâter quand Neil (Robert Sean Leonard) et Todd (Ethan Hawke) s’enflamment pour ce nouveau professeur. Et le pire arrive lorsqu’ils veulent recréer le cercle des poètes disparus dont Keating fut jadis le fondateur. Le bon professeur n’avait pas prévu qu’il allait aggraver les conflits père-fils. La tragédie est en place... En 1959 à l’académie Welton, que de sueurs froides !

Si le film distance « Breakfast Club » de 1984 dans un thème similaire, c’est parce qu’il dégage de grandes émotions, il n’a pas pris une ride, il est intemporel. Peter Weir nous grise de poésie. Le personnage de Robin Williams est attachant parce qu’il est généreux, il connait bien la vie tout en errant dans l’onirisme... C’est un hommage rendu à l’indépendance de l’esprit et à la liberté des mots. Il élève l’esprit, fait réfléchir, dérange comme la liberté, et le prix que l’on est prêt à mettre pour l’obtenir. Rien à voir avec mai 68, n’en déplaise aux nostalgiques. On peut en penser ce que l’on veut, il reste une chose bien établie : le pire, c’est l’indifférence, car depuis l’aube de l’humanité, haïr ou aimer fait bouger les choses.

Je terminerai sur cette phrase du Gaspard de Verlaine : « Suis-je né trop tôt ou trop tard ? Qu'est-ce que je fais en ce monde ?... » Comme d’habitude, je vous souhaite une bonne nuit…
 
 
 
   
   
24e séance
   
 
J’ai toujours pensé que le meilleur du cinéma français se situait dans les années 30, pour une raison fort simple, la quantité impressionnante de grands comédiens tels Jouvet ou Simon. Mais, tombés dans les oubliettes, il y eut aussi de merveilleux seconds rôles féminins (j’ai évoqué les seconds rôles masculins dans la 20e séance) qu’il fallait remettre sur le devant de la scène, comme un devoir de mémoire...
 
 
 


Je commencerais par l’une des plus anciennes, Sylvie, pseudonyme de Louise Mainguené, née à Paris en 1883. elle ne fut jamais une vedette, mais elle marqua le cinéma de son époque par de belles compositions. Durant les premières décennies du XXe siècle, elle préfère le théâtre au cinéma, mais on la voit dans des films muets dont « Britannicus » de Camille de Morlhon en 1913. On la retrouvera plus tard, en 1943, dans « Le Corbeau » de Clouzot et dans « Les anges du péché » de Bresson puis en 1944 dans « Le père Goriot » de Robert Vernay. Duvivier la fit tourner dans quatre longs métrages : « Carnet de bal » en 1937, « La fin du jour » en 1939, « Sous le ciel de Paris » 1950 et « Le petit monde de Don Camillo » 1951. Ses plus belles compositions restent « Marie-Martine » d’Albert Valentin en 1943, « Dieu a besoin des hommes » de Jean Delannoy en 1950 et « La vieille dame indigne » de René Allio en 1965. Elle mourra en 1970.
 

 
 
 

Souvent, lorsque je parle de cinéma avec quelqu’un, cette phrase revient : « Oui, oui... maintenant que vous le dites, je me souviens » Il en va ainsi de Marcelle Geniat que l’on vit souvent dans des rôles de femme acariâtre ou de mémé que l’on ne voudrait pas avoir chez soi, genre Tatie Danièle. Le plus ancien souvenir que je conserve d’elle, c’est dans le rôle de la chouette des « Mystères de Paris » de Gandera en 1935. En 1942, elle incarnera une femme particulièrement torturée moralement dans « Le voile bleu » de Stelli, un film avec Gaby Morlay, c’est d’ailleurs ce film qui lui vaudra le qualificatif de « geignarde » ! Pendant deux décennies, de 30 à 50, elle excellera dans des rôles ingrats. Pour exemple, « La Belle équipe » de Duvivier en 1936, et « Le Loup des Malveneur » de Radot en 1942. Rien ne procède du hasard, puisque, outre son métier de comédienne, elle fut directrice d’une maison de redressement pour jeunes filles à Boulogne Billancourt. Elle mourut en 1959.
   
   

Ma préférée, c’est Jeanne Fusier Gir et l’on peut dire que, dès 1930, le parlant lui offre une place de choix. Sa voix fluette et son débit haché produiront de larges effets comiques très appréciés du public, c’est peut-être cela qui la cantonna aux rôles de pipelettes revêches ou de commerçantes volubiles. Elle excellera dans les personnages pittoresques comme dans « Crainquebille » de Jacques de Baroncelli en 1933, « Marie-Martine » de Valentin et « Le Corbeau » de Clouzot en 1943, « Falbalas » de Becker en 1945 et « Marie-Octobre » de Duvivier en 1958. Dans les années 40, on commence à la remarquer grâce à Guitry qui sait exploiter ses qualités. Avec lui, elle fera « Remontons les Champs-Élysées » en 1938, « Le destin fabuleux de Désiré Clary » en 1941, « La Malibran » en 1943, « Napoléon » en 1955. Née en 1885, elle mourut en 1973.
   
   

La plus classique, si l’on peut s’exprimer ainsi, c’est Gabrielle Dorziat, puisqu’elle fut sociétaire de la Comédie Française et qu’elle ne viendra que très tard au cinéma ; c’est sans doute l’explication de son parfait phrasé. Elle voit le jour à Épernay en 1880. Sa personnalité lui permet d’incarner des rôles à forte personnalité, elle sait tout faire, des nobles mères aux affreuses mégères. On peut dire que son talent d’actrice est révélé au public avec « La Fin du Jour » de Duvivier en 1939. Elle tourne avec les plus grands : « Mollenard » de Robert Siodmak en 1937, « De Mayerling à Sarajevo » de Max Ophüls en 1940, « Falbalas » de Jacques Becker en 1944, « Manon » d'Henri-Georges Clouzot en 1948, « Les Parents terribles » de Cocteau 1949, « Un acte d'amour » d’Anatole Litvak en 1954, etc. Dans « Églantine » de Jean-Claude Brialy en 1972, elle tient le rôle d’une dame âgée de 92 ans, elle en a 90 ! Elle mourut sept ans après en 1979, elle avait 99 ans.
   
   

J’ai un petit faible pour Fréhel, pseudonyme de Marguerite Boulc’h, née en 1891, et son regard désespéré. Je la revois dans le rôle de Tania, la matrone de la casbah, dans « Pépé le Moko » de Duvivier en 1936 ; pendant qu’elle écoute l’un de ses disques, on aperçoit au mur la photo d’une fille mince coiffée à la mode 1900. C’est elle alors qu’elle s’appelait alors Pervenche, un nom qu’elle abandonnera en 1909. Elle apparaitra dans 16 films, de 1930 à 1950 et bien que jamais elle n’occupe au cinéma la place qu’elle occupa au cabaret, elle fut toujours très remarquée. Ses plus beaux rôles resteront sûrement « Cœur de lilas » d’Anatole Litvak en 1932 et « Un Homme marche dans la ville » de Marcello Pagliero en 1949. Elle finit dans la misère, dans tous les sens du terme. Son regard reflétait cette mort qui la surprendra en 1951, seule, dans un hôtel sordide de Pigalle.
   
   

Je terminerais par une note plus gaie, Valentine Tessier, une grande comédienne de théâtre. Enfant, elle ne rêve que des planches et on la met en apprentissage ! Elle rate le conservatoire, qu’à cela ne tienne, elle joue en province avant de rejoindre Jacques Copeau au Vieux Colombier avec qui elle part en tournée à l’étranger. Après la Première Guerre mondiale, c’est le triomphe au théâtre et elle joue avec Louis Jouvet. Le cinéma ne l’intéresse pas beaucoup, cependant, elle apparaitra dans une vingtaine de films entre 1911 et 1959. Naturellement distinguée, elle n’eut aucun mal à incarner des femmes du monde. On la remarquera dans « Madame Bovary » de Renoir en 1934, « La Charrette Fantôme » de Duvivier en 1939 et « Maigret et l’affaire Saint-Fiacre » de Jean Delannoy en 1958. Brialy la fait tourner une dernière fois au cinéma dans « Églantine » en 1971, elle avait presque 80 ans, elle était née 1892. Elle s’éteindra à presque 90 ans en 1981.
   
 
Les cimetières sont remplis de merveilleux talents… Pas étonnant que certains se laissent enfermer au Père-Lachaise !
 
 

   

 
   
   
Entracte 12
   
      Spencer Tracy 1900-1967      
 





 
Pour moi, Spencer Tracy restera l’un des plus grands acteurs américains. Je l’ai découvert grâce à deux films qu’il tourna plutôt en fin de carrière puisque (né en 1900 à Milwaukee dans le Wisconsin, il mourut en Californie en 1967), il s’agit de « Un homme est passé » de John Sturges de 1955 et de « La Lance brisée » d'Edward Dmytryk de 1954. Je les revois encore avec autant de plaisir que dans les années 60.
Rien ne prédestinait Spencer Tracy, élève chez les Jésuites et voué à la prêtrise, à une carrière de comédien. Il ne montera sur les planches qu’à la fin de ses études et, en 1930, ce sera le triomphe avec la pièce « The last mile » et le début d’une carrière hollywoodienne. À la fin de l’année, il sera la vedette de « Up the river » au côté d’un autre débutant, Humphrey Bogart, et la Fox le prendra sous contrat. Sa popularité sera à l’égale de celle de James Cagney. En 1936, il quitte la Fox pour la M.G.M. et c’est la consécration, le cinéma va lui offrir des rôles à sa mesure, et il devient une star à part entière. En 1941, alors qu’il s’est marié depuis une vingtaine d’années, il fait la connaissance de Katharine Hepburn sur le tournage de « La femme de l’année » et ce sera une longue histoire d’amour qui durera jusqu’à sa mort sans que jamais il ne divorce.
Il recevra deux oscars, le premier pour « Capitaines courageux » de Victor Fleming en 1937 et le second pour « Des Hommes sont nés » de Norman Taurog en 1938. Laurence Olivier déclara que c’est en le regardant qu’il avait le plus appris sur son métier. Beau compliment ! On peut même dire que sa présence a empêché que ses films les moins bons tombent dans le médiocre.
Ses premiers rôles furent très variés, car on le retrouve en gangster cynique dans « Quick Millions » en 1931, en prolétaire dans « Me and My » en 1932, en prisonnier muré dans son secret dans « Vingt mille ans sous les verrous » et en clochard dans « Ceux de la Zone » en 1933, film dans lequel il partage la vedette avec Loretta Young. Plus connue, sans doute, est sa prestation de marin portugais dans « Capitaines courageux » en 1937. Il deviendra un spécialiste des personnages de caractère, authentiques. Il savait être odieux ou sympathique avec autant de conviction. Il excelle dans « Le père de la mariée » en 1950 et sa suite « Allons donc, Papa » en 1951, de Minnelli. Il mit son talent au service de grands cinéastes tels que Frank Borzage (« La grande ville » en 1937), Henri King (« Stanley and Livingstone » en 1939), King Vidor (« Le grand passage » en 1940), et George Cukor dans 5 rôles remarquables dont le plus méconnu est celui de « The Actress » en 1953. Après Vincente Minnelli, viendra John Ford, en 1958, avec l’incarnation d’un politicien au seuil de la mort dans « Dernière Fanfare ». Ensuite, dans les années 60, Stanley Kramer lui proposera deux rôles qui ne seront pas à la mesure de son talent : « Procès de singe » en 1960 et « Jugement à Nuremberg » en 1961. Il tourna avec les plus grandes actrices : Joan Crawford, Lana Turner, Deborah Kerr ou Marlène Dietrich, mais pour lui, aucune ne pouvait rivaliser avec Katharine Hepburn avec qui il travailla neuf fois. C’est Cukor qui porta leur couple au zénith dans « Madame porte la culotte » en 1949, elle en avocate et lui en procureur, avec quelques moments savoureux du couple au cinéma ; et aussi en 1952 avec « Mademoiselle gagne tout » qui mérite d’être redécouvert, lui en manager sportif un peu mou et elle en athlète énergique ; également dans « La flamme sacrée » en 1942, moins connu, où elle incarnait une veuve et lui un journaliste qui tente de reconstituer la personnalité du défunt.
Le crabe planait et Spencer Tracy s’éteindra d’un cancer en 1967. Il serait stupide d’oublier « Devine qui vient dîner ? », mais mon film préféré reste « Un homme est passé » et cette image mémorable d’un homme imperturbable immobilisant d’un seul bras un Robert Ryan, obscur tyran tenant une petite ville d’ignorance et d’infamie sous son emprise.
Massif et solide à l’écran, les traits peu marqués, des cheveux vite blanchis, c’était Monsieur Spencer Tracy, avec un grand M !
 





 
 
          
 
   
     
suite…
 
 



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